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[note de lecture] Pierre Vinclair, "Une nouvelle célébration. Portrait(s) de Chongqing", par Guillaume Condello

Par Florence Trocmé

Vinclair Que peuvent bien venir faire deux artistes à Chongqing ? 
On peut, et c’est en un sens ce que font Pierre Vinclair et Patrick Wack, être tenté par une certaine forme de témoignage, tiraillée entre le pur journalisme, voire la littérature de voyage, le documentaire géographique pour intellectuels, et le lyrisme épique du poète qui se ferait la voix du peuple opprimé par le pouvoir : « C’est bien pour témoigner de quelque chose que nous sommes là, dans cette auberge depuis laquelle j’observe les voitures passer. D’abord témoigner de cela, de ce qui est posé, simplement là, et qui s’élève sur la dalle de béton au bord de la deux-fois-deux-voies périphérique au centre ville […]. Nous venons établir des faits. » 
    
Mais une telle posture naïve n’est jouée ici que pour être immédiatement déjouée : le Photographe met en scène ses personnages, « il fait événement », leur fait jouer leur rôle en montrant qu’il n’est qu’un rôle, arrêtant le cours rapide des corps et des marchandises pour faire advenir l’humain, pour montrer que : « lorsque les travailleurs s’arrêtent, il y a des hommes. Que même dans la ville inhumaine, il y a de l’homme. »  
Et le Poète ? Que peut-il bien venir faire dans ces rues où personne ne s’intéresse plus guère qu’aux séductions de l’argent, sinon dénoncer, drapé dans sa pureté virginale, l’inhumanité des villes de la Chine moderne ? Faire entendre la fragile et tenace voix du poète contre l’envahissement du pouvoir ? Une telle tentation existe dans Une nouvelle célébration. Mais une autre voix – celle de ces « animaux humains qui construisent des lieux, sans livre et sans religion » – monte des rives du fleuve, pour mettre en garde le poète contre la naïveté inhérente à sa pseudo-lucidité d’intellectuel critique (pléonasme, oui, assumé – ou mis à la question, c’est selon) : « Alors tu pouvais reposer : le poète humaniste et la ville inhumaine se faisaient face comme deux catcheurs s’empoignant l’un et l’autre sur la page blanche, tu écrivais « avec le sang de ce combat ». Tu cherchais dans la ville symboles et allégories ; tu ne lui donnais une voix que pour la faire parler contre elle-même – et rejouais la leçon d’une époque passée où les poseurs chantaient l’exil en gémissant des pluies d’alexandrins… ». 
 
Alors, que faire ? Comment dire, encore, ce qu’il y a, « simplement là », sans rejouer la farce de l’ego poétique, ni en faire pour autant l’apologie, et l’ennoblir comme objet poétique ? Sinon en reconnaissant, dans la forme changeante de l’urbanité moderne, les flux d’un devenir plus ancien que toutes les constructions, et qui leur survivra, dans le silence, celui qui vient trouer la musique parfois dissonante des choses, et jusqu’à la trame du texte :
« Ville, villes – toutes les villes ; dons de pierre aux dieux ou cicatrices de béton ! La soi-disant beauté des cités du musée Grévin ou la laideur des mégapoles industrielles ne sont que les formes figées, de la vie qui devient, des territoires qui se composent et recomposent, les chrysalides abandonnées – occasions mortes d’élégies pour sous-entendus : lors dos à dos renvoyez-les ! Recrachez-les poètes ! cherchez le mouvement et les métamorphoses 
l’informe et tout ce qui devient 
pour échapper aux noms 
 
ouvrez l’oreille 
   aux ouvriers pendus qui nichent sous le pont 
   entendez-les 
                                                        croasser   les corbeaux 
 
   rangez les larmes fausses 
   éloignez-vous dans l’ombre   à la limite 
                                                                      utilisez les luminaires  
poètes   au chaos qui devient 
n’opposez plus qu’un cadre de lumière, faites 
   événement    partition 
   gauche 
 
   soyez photographes    poètes » 
 
Le silence ? Plus encore qu’à la photographie, on sent que c’est à une forme de méditation que tend le poème ; et lorsque Pierre Vinclair disparait, c’est une pure voix muette, celle des choses, « d’un devenir coulant comme les eaux noires du Yangzi », que l’on peut entendre. Il faut lire et relire le magnifique envoi final : peut-être est-ce là où le livre touche son plus haut point d’incandescence, lorsque, après s’être dépouillé de toutes les figures – dépassées – du Poète, l’auteur arrive à se débarrasser en quelque sorte de lui-même, se fondre dans le silence, et réussir à lui donner, enfin, la parole. A le célébrer, à nouveau. 
 
[Guillaume Condello] 
 
Pierre Vinclair, Une nouvelle célébration. Portrait(s) de Chongqing, avec les photographies de Patrick Wack, Le corridor bleu, 2014.


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