Made in France, E16 : « Elle court, elle court, la maladie d’amour »

Publié le 23 mai 2014 par H16

Tranches de vie ordinaires en République Démocratique (et Populaire) Française, imaginées mais pas dénuées de réalité – Épisode 16 : « Elle court, elle court, la maladie d’amour. »

Par h16 et Baptiste Créteur.

Ce n’est pas un hasard si l’Ode à la Joie est l’hymne européen. Après des millénaires de guerres, de pillages et de conquêtes, après des génocides et des massacres, après des révolutions sanguinaires, des folies furieuses et des déportations silencieuses, après le déchirement du christianisme et les ravages des cavaliers de l’Apocalypse, après le socialisme national et le communisme international, l’Europe est devenue un continent de joie, paix, de prospérité et d’amour.

Ô joie ! La social-démocratie partage équitablement les fruits de la croissance entre les subventions agricoles et l’aide au développement de la corruption et des détournements. Ô joie ! Dans tous les pays européens, l’État-providence assure un filet de sécurité aux partis dépensiers qui transforment sa générosité en électeurs convaincus.

En France, le Président de la République, imparfaitement démocratique et parfaitement démotivant, a fait campagne sur une société apaisée, douce au toucher, à la bonne odeur de Soupline et sur le « Plus jamais ça » visant à débarrasser les Français d’un président au kärcher vraiment trop bling-bling. De divorces en adultères, de remariages en liaisons, les Français vivent avec leurs présidents des histoires à l’eau de rose auxquelles les émissions de service public et de télé-réalité offrent un miroir surprenant.

Mais surtout, la France est un pays gentil, un phare dans la nuit qui couvre l’Europe de son austérité et voile l’Afrique de son islamisme.

Dans les ténèbres du monde, entre de fulminants patrons voyous, une finance apatride et sans visage, des groupuscules fascistes et d’affreuses créatures mondialisées, les petits lutins mignons de l’État-providence continuent leur œuvre pour l’avènement d’une conscience universelle de l’égalité réelle. Avec leurs petites mains, ils entrent des numéros de Sécurité Sociale dans de grosses machines aux tubulures cuivrées polies par les ans. Ils écoutent patiemment les blessés de la vie, les nécessiteux et les défavorisés. Ils sont la colonne vertébrale du vivre-ensemble, le cœur du contribuable, le poumon cancéreux d’une France qui fume l’argent qu’elle emprunte pour des rites sacrificiels au dieu Amour, et aussi l’anus d’une administration pléthorique.

Tout cela avec leurs petites mains et leurs petits doigts.

Et avec eux, chaudement emmitouflés dans des gants de boxe, les lutins de la Sécurité Sociale s’ingénient à vider les caisses primaires et ancestrales dans les hottes des facteurs syndiqués qui distribuent chaque mois un peu d’amour dans les boîtes aux lettres des grands enfants de l’État-maman. Gants de boxe et petits claviers mal foutus résultent parfois en de malencontreuses erreurs, qui résultent en égarements de l’amour républicain à des destinataires qui ont le culot de n’en avoir pas besoin.

C’est le cas de Nicole.

Alors qu’elle vérifie minutieusement les calculs de son budget pour le mois écoulé, elle comprend enfin pourquoi ce mois-ci est bien plus simple à boucler que les précédents : tout indique que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie lui a versé 911 euros. Par erreur. Nicole écarte rapidement la thèse conspirationniste (9/11, le 11 septembre, Al Qaïda, la CIA, les chemtrails et autre projet HAARP ne sont pas responsables de ce surplus sur son compte), et comprend qu’on lui a versé une indemnité journalière. Sauf qu’elle est en parfaite santé et qu’elle se rend chaque jour au travail, comme d’habitude.

Là où d’autres auraient gardé l’amour républicain tarifé indûment perçu, Nicole en informe la CPAM par téléphone. Originalité : c’est « Les 4 saisons de Vivaldi » qui a été choisi comme musique d’attente et ça tombe bien puisque le morceau complet du compositeur italien dure à peu près 45 minutes, temps qu’il faut à Nicole pour tomber sur un interlocuteur auquel elle expliquera qu’elle touche des indemnités journalières alors qu’elle est en parfaite santé (« Vous allez rire, j’appelle d’ailleurs de mon travail ») :

Vous pourriez avoir des problèmes. Si vous touchez des indemnités journalières, vous n’avez pas le droit de travailler.
- Mais je ne suis pas malade !
- Vous savez très bien que cette somme correspond à des indemnités journalières pour votre arrêt maladie !
- Je n’ai jamais déposé d’arrêt maladie !

Et là, paf, le lutin (peu commode) raccroche. Nicole tente à nouveau l’appel, mais ses six ou sept tentatives suivantes sont infructueuses (et puis Vivaldi l’agace). Elle se décide à écrire à la Caisse. Son employeur, inquiet que la Caisse lui demande des comptes par la suite, appelle un ami qui y travaille pour intercéder en sa faveur (Quand c’est la République qui distribue de l’amour, ce sont les bons amis qui font les bons comptes, n’est-ce pas).

Quelques jours plus tard, Nicole reçoit une lettre. C’est un attaché de direction à la CPAM qui lui écrit, reconnaissant que ses services ont commis une bévue et il l’informe que le problème était en passe d’être sur le point de pouvoir être bientôt réglé incessamment sous peu. Il va jusqu’à louer son honnêteté :

Nous n’aurions jamais pu, sans votre honnêteté, nous apercevoir de ces sommes indûment versées.

Nicole n’en croit pas ses oreilles en parfaite santé.

Et quelques jours plus tard, ce sont ses yeux en parfaite santé qui s’écarquillent lorsqu’elle découvre un nouveau courrier, exigeant le recouvrement de 1422 euros, les prestations lui ayant toujours été versées pour ses jours d’arrêt maladie du 3 au 7, courrier assorti d’un autre, la convoquant au service des arrêts de travail pour examen médical.

Dans sa réponse écrite (elle n’a pas 75 minutes de Vivaldi à perdre), elle tente de conserver son calme et demande à la Caisse de cesser ses versements et qu’elle refuse de se rendre à l’examen, puisqu’elle est en bonne santé et qu’elle n’a aucune envie de s’absenter de son travail.

La réponse à sa réponse est calquée sur la même logique que ce qui a amené Nicole au milieu de ces petits engrenages aux mouvements inexorables : en ne se rendant pas à l’examen médical, elle joue avec le feu puisque ses prestations pourraient ne plus lui être versées ! Et puis, elle a intérêt à avoir une excuse en béton pour ne pas se rendre à l’examen médical, non mais des fois. Un mot de ses parents ou de l’État-maman fera l’affaire.

En France, dès qu’un enfant s’égare ou qu’une bévue est commise, la première question posée est « Mais où est donc l’État-maman ? » Nicole, elle, ne sait pas trop bien comment dialoguer avec lui et lui faire comprendre son erreur. Et c’est finalement l’attachant attaché de direction qui lui apportera des éléments d’explication lorsque, en désespoir de cause, elle se rend directement dans les locaux de la Caisse :

Notre système de traitement est un peu archaïque. Il y a des lutins hommes derrière les écrans, mais, dans la masse des dossiers traités chaque jour, bon, des fois, il arrive que se glissent des erreurs dans nos livraisons d’amour. Ce ne sont pas les lutins hommes qui font les erreurs, notez bien, mais le plus souvent, ce sont les machines qui ne parviennent pas à déchiffrer ou interpréter les arrêts maladie. Voili voilà, rien de grave. Signez là, là et là, je tamponne ici et là et tout devrait rentrer dans l’ordre… Vous voulez un petit cachou ?

Décidément, l’amour républicain semble n’en faire qu’à sa tête. Les visions chamaniques sténographiées sur papyrus des auspices et les aruspices de la Providence, introduites avec effort dans les calculateurs collectivistes, sont parfois capricieusement retranscrites, et font des victimes comme Nicole, innocentes, qui reçoivent un amour dont elles se seraient bien passé, harcelées par les avances de lutins qui veulent à tout prix refiler au plus grand nombre un peu de leur amour vicié.

Espérons pour les habitants de la République du Solidarland que les lutins cesseront un jour de prendre leur argent pour le manger et leur cracher le reste à la figure…

L’État-providence est à la solidarité ce que le viol est à l’amour. – @jabial

Vous vous reconnaissez dans cette histoire ? Vous pensez qu’elle ressemble à des douzaines de cas relatés par la presse ? Vous lui trouvez une résonance particulière dans votre vie ? N’hésitez pas à en faire part dans les commentaires ci-dessous !

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