LA SOLITUDE
À la fin du diner,
Nous étions fort gais.
Un vieil ami me dit :
« Veux-tu remonter à pied
Les Champs-Élysées ? »
Et nous voilà partis.
Comme nous passions devant un banc
Où deux jeunes s’enlaçaient tendrement.
Mon voisin a balbutié :
« Ces gens m’inspirent de la pitié.
Ils cherchent comme nous
À faire cesser leur isolement fou.
Mais ils demeureront seuls ; et nous aussi.
On s’en aperçoit plus ou moins. Mais c’est ainsi.
Depuis longtemps j’ai compris
L’affreuse solitude où je vis
Et je sais que rien
Ne peut la faire cesser, rien,
Tu vois, ce soir, je n’ai pas osé
Rentrer dans mon appartement
Parce que je sentais
Que j’allais souffrir d’isolement.
Je parle, tu m’écoutes, et nous sommes seuls,
Côte à côte, mais seuls.
Musset a écrit :
Qui vient ? Qui m’appelle ? Personne.
Je suis seul. C’est l’heure qui sonne.
Ô solitude ! Ô pauvreté !
Mais chez lui,
Ce n’était qu’un état passager.
Et Flaubert, n’a-t-il pas écrit
À une amie :
Nous sommes tous dans un désert. Personne
Ne comprend personne.
La terre sait-elle ce qui se passe
Dans les étoiles jetées
À travers l’espace ?
Nous n’apercevons que leur clarté.
Eh bien ! L’homme
Ne sait pas davantage ce qui se passe
Dans un autre homme. Nous sommes
Plus éloignés les uns des autres que les astres.
Il y a là des hommes. Je vois leurs yeux
Mais leur âme derrière eux,
Je ne la connais pas.
Peut-être ne m’aime-t-elle pas ?
Que pense-t-elle ?
Se moque-t-elle ?
Quel mystère que la pensée d’un être,
Pensée que je ne peux connaître !
Ce sont les femmes qui le plus souvent
Me font percevoir mon isolement.
Ah ! Comme, par elles, j’ai souffert !
Misère de misère !
La femme est un Rêve mensonger.
Le temps passé avec cet être à longs cheveux,
Au sourire délicieux,
Aux traits charmeurs,
Au regard enjôleur
Égare mon esprit !
Ce n’est qu’une illusion qui me séduit.
Après chaque baiser,
Mon isolement s’agrandit.
Sully Prudhomme n’a-t-il pas écrit :
Les caresses ne sont que d’inquiets transports
Infructueux essais du pauvre amour qui tente
L’impossible union des âmes par les corps…
Voici ce qui me hante :
Me sachant condamné
À cette solitude détestée,
Je regarde la vie
Sans jamais donner mon avis.
Ne pouvant rien partager,
Je me suis désintéressé
De tout. J’use de phrases banales
Pour répondre aux questions banales
Et je présente un sourire léger
Quand je ne veux pas parler. »
Mon ami me quitta sur ces mots.
Était-il sage ou gris ?
Il me semble plutôt
Qu’il avait perdu l’esprit.