Après avoir évoqué les styles hauts en couleur de Luca Rubinacci et de Renato Plutino (entre autres), il me semblait normal en quelque sorte de rétablir l’équilibre du goût en revenant à une silhouette et à un style plus classiques. J’ai choisi de le faire en m’attachant à présenter un homme considéré à juste titre comme le pape du Made in Italy, non pas un créateur, non pas un marchand, mais un infatigable fédérateur, promoteur de l’italianité à travers le monde. Combien sont-ils à incarner cette élégance intemporelle ?
Beppe Modenese et « l’invention » du Made in Italy
La grande force de Beppe Modenese, gentleman stratège, est d’avoir compris en pionnier l’intérêt de créer une marque Italie et d’avoir œuvré avec constance à la réalisation de cette marque. Adepte d’un luxe discret, il connaît la valeur des choses, préfère l’exemple à la démonstration. Ce jeune homme de 87 ans, élu « ministre de l’élégance » par le magazine Women’s Wear Daily en 1983, affectionne tout particulièrement les costumes croisés, les rayures tennis ou craie, les chaussures sport comme les chukkas, les belles matières. Sa coquetterie ? Porter des chaussettes rouges. Son accessoire de prédilection ? Une épingle de cravate.
Une carrière exemplaire à l’ombre de la mode
Né en 1927 à Alba, Beppe Modenese doit à sa rencontre en 1952 avec Olga di Gresy et Giovanni Battista Giorgini son premier travail, pour Il Ridotto, via Montenapoleone à Milan, un espace où se mêlent objets artisanaux, antiquités, art contemporain et mode. Dans le même temps ou presque, il anime une rubrique télévisée consacrée à la mode et à la décoration. Cette Vetrine (« vitrine », en italien), qu’il va tenir pendant dix ans, lui vaut d’acquérir une grande notoriété et de rencontrer de nombreux créateurs de mode, créateurs dont il devient peu à peu le conseiller et l’ami. La première à exploiter ses talents de communicant sera Jole Veneziani, styliste de la haute bourgeoisie milanaise et fondatrice du salon Alta Moda Italiana. Viendront ensuite Estée Lauder et la maison Chanel (pour les cosmétiques).
Exposition Jole Veneziani, Villa Necchi Campiglio, Milan
Dès le début des années 1960, prenant la suite de Giovanni Battista Giorgini, Beppe Modenese s’attache à déplacer l’épicentre du Made in Italy de Florence vers Milan et sa région. Pour ce faire, il en vient à fonder ou à co-fonder plusieurs salons professionnels destinés à donner plus de visibilité aux entreprises : Moda Parma en 1968, Idea Como en 1975, le Mipel (Mercato Internazionale della Pelletteria) en 1977, Idea Biella en 1979. Dans les années 1970, la mode italienne se renouvelle en profondeur (avec de jeunes créateurs comme Missoni, Krizia, Moschino, Versace, Armani) mais il lui manque encore l’unité qui lui permettra d’être perçue (et vendue) comme une marque de fabrique, au même titre que la couture parisienne. Sur proposition de l’Association Industrielle de l’Habillement, Beppe Modenese va travailler à la doter de cette unité, à l’organiser en système. Le Centro Sfilate, c’est lui, le Modit également. C’est lui encore qui, de 1987 à 2003, préside aux destinées des grands événements de la Chambre Nationale de la Mode Italienne (Milano Moda Uomo, Milano Moda Donna, Roma Collezioni Alta Moda), dont il assure à la fois la coordination et la communication. Consultant pour le groupe Rinascente et Fiera Milano de 1985 à 1990, Beppe Modenese est aujourd’hui président honoraire de la Chambre Nationale de la Mode Italienne. Il a été élevé en 2002 au grade de commendatore dans l’ordre du Mérite italien. Un livre paru en 2013 (b.m., Beppe Modenese, Minister of Elegance) revient sur son parcours hors du commun.
Photos, sources : Vogue Italia (Alessandro Garofalo/InDigitalteam/GoRunway), SocietàItalia, For The Discerning Few, Cipria Magazine, Tweed In The City.