La vision des vaincus
Victor Anicet
Foudres HSE 2014
Photo Jean- Luc de Laguarigue ©
Hier, veille du 22 mai, date de la commémoration de l’abolition de l’esclavage à la Martinique était inaugurée à l’Habitation Saint – Etienne une œuvre monumentale de Victor Anicet. Cette caravelle, La vision des vaincus, en tôle noire de trois millimètres d’épaisseur, d’imposante envergure, six mètres de long sur trois mètres quatre – vingt de haut, est une commande privée de Florette et José Hayot.
Les Foudres HSE se situent au cœur de l’Habitation Saint-Étienne (Gros – Morne Martinique) . C’est un ensemble architectural unique, classé à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques, constitue aujourd’hui l’un des derniers et l’un des plus beaux exemples du patrimoine martiniquais.
Habitation Saint – Etienne
Gros Morne
Martinique
Transformés en espace culturel et artistique, les Foudres HSE sont d’anciens chais de vieillissement. C’est un espace original, équipé d’un bar, d’une sonorisation, d’un écran de projection, d’un éclairage adapté aux expositions, de tables basses, de fauteuils club ou de chaise. Selon la configuration, il peut recevoir de quatre – vingt à cent cinquante personnes. Les Foudres HSE accueillent régulièrement concerts, conférences, projections, lectures ou spectacles vivants : c’est un lieu de rencontres et d’échanges, ouvert aux plasticiens, aux chercheurs, aux poètes, aux musiciens…
La philosophie des Foudres HSE est celle du partage des imaginaires, des perceptions et des pensées. Car on sait ici qu’une imagination qui reste close sur elle-même se dessèche, qu’une perception qui se contente de son angle se prive de la richesse de vues autres, et qu’une pensée qui ne s’expose pas à d’autres pensées dégénère bientôt en cliché.
Caravelles
Victor Anicet
Foudes HSE 2012
© Photo Jean – Luc de Laguarigue
A l’origine de cette œuvre monumentale de Victor Anicet pour les jardins de l’Habitation Saint – Etienne , les trois céramiques présentées à l’orée de son exposition, Les grands projetés de l’histoire , en octobre 2012 aux Foudres HSE.
Une phrase d’Edouard Glissant escortait alors l’incarnation contemporaine des trois vaisseaux de Christophe Colomb, La Niña, la Pinta et la Santa Maria :
Navires vous errez dans l’immobilité
Seules vous retenez l’eau fruste sur vos reins
Lieu sur le rivage où le regard se fortifie (2)
De la terre au métal, de l’objet au monument, multiples étapes se sont succédé dans un hangar du François. Modifier l’échelle. Définir le module adéquat de trois cents centimètres sur trente. Surmonter les écueils techniques, assisté de Michel Pétris, designer, sculpteur en métal, maîtrisant toutes les techniques de soudure. Souder. Agrémenter la barque de rivets. Des rivets identiques à ceux de la Tour Eiffel précise Victor Anicet.
« C’est à l’artiste contemporain de pratiquer les rites de passage, dit Victor Anicet. La chaîne tragique a été rompue. La fonction de l’artiste est le dévoilement de l’inaperçu car l’île est un réservoir de secrets.
Moi, l’artiste, le producteur d’images, je suis au seuil des mondes et je voudrais être le témoin du passage : un passeur. Restituer, non pas reconstituer. Restituer au plus grand nombre de Martiniquais les traces que j’ai cru avoir décelées. »
Caravelles
Victor Anicet
Foudes HSE 2012
© Photo Jean – Luc de Laguarigue
La Restitution est au cœur de la démarche plastique de Victor Anicet :
http://aica-sc.net/2013/09/27/victor-anicet-restitution/
Né au Marigot, commune du Nord Atlantique de la Martinique, Victor Anicet retrouve sa terre natale en 1967 après des études à l’Ecole des Métiers d’art de Paris, aux Arts et Métiers et plusieurs années d’expériences auprès de potiers en France, en Allemagne, en Angleterre. Membre fondateur du groupe Fwomajé dédié à la recherche d’une esthétique caribéenne, il approfondit la veine amérindienne : « Nous sommes tous des Amérindiens. La nasse que tu jettes est amérindienne, le lisser des tiges d’amarante pour ton panier est amérindien. Le balata que tu nommes est amérindien. Nous sommes tous des Amérindiens » (3)
L’espace public de Martinique accueille plusieurs œuvres de Victor Anicet : commandes publiques, commandes privées, 1 % artistiques.
Deux œuvres ont été réalisées dans le cadre du 1 % artistique, à la Trésorerie générale de la Martinique et au Collège de la Meynard. Le 1% artistique, procédure spécifique de commande publique d’œuvre d’art offre un cadre original de rencontre entre un commanditaire public, un artiste, un architecte et le public, en dehors des seules institutions dédiées à l’art contemporain.
La loi oblige les maîtres d’ouvrages publics à réserver un pour cent du coût de leurs constructions pour la commande ou l’acquisition d’une ou plusieurs œuvres d’art spécialement conçues pour le bâtiment. D’abord limité aux bâtiments du ministère de l’Education nationale lors de sa création en 1951, le dispositif a été élargi et s’impose aujourd’hui à la plupart des constructions publiques de l’Etat et à celles des collectivités territoriales, dans la limite des compétences qui leur ont été transférées par les lois de décentralisation.
L’une d’entre elles, Restitution, a été sélectionnée pour figurer dans l’ouvrage du Ministère de la Culture, Editions du Patrimoine – Centre des monuments nationaux, Cent 1 %, édité à l’occasion des soixante ans du dispositif.
La vision des vaincus
in progress au
François
Victor Anicet et Michel Petris
Photo Jean- Luc de Laguarigue ©
Victor Anicet a également conçu des vitraux contemporains pour la Cathédrale de la Ville de Saint Pierre dans le cadre d’une Commande publique décentralisée du Ministère de la Culture. La commande publique est la manifestation d’une volonté associant l’Etat (ministère de la Culture et de la Communication et des partenaires multiples (collectivités territoriales, établissements publics ou partenaires privés), de contribuer à l’enrichissement du cadre de vie et au développement du patrimoine national, par la présence d’œuvres d’art en dehors des institutions spécialisées dans le domaine de l’art contemporain. Elle vise également à mettre à la disposition des artistes un outil leur permettant de réaliser des projets dont l’ampleur, les enjeux ou la dimension nécessitent des moyens inhabituels.
La commande publique désigne donc à la fois un objet (l’art qui, en sortant de ses espaces réservés, cherche à rencontrer la population dans ses lieux de vie et dans l’espace public) et une procédure, marquée par différentes étapes, de l’initiative du commanditaire jusqu’à la réalisation de l’œuvre par l’artiste et sa réception par le public.
Par ailleurs, Victor Anicet a répondu à de nombreuses commandes municipales, à Schoelcher, au Marin, à Sainte – Luce, à Basse- Pointe comme à des commandes privées, pour l’auberge de la Montagne Pelée, pour l’église du bourg de la ville de Schoelcher, pour la SATEC, pour l’école municipale de Fond Layée.
La vision des vaincus
Du François au Gros – Morne
Photo Jean- Luc de Laguarigue ©
C’est une seizième création pour l’espace public de Martinique qui s’adjoindre aujourd’hui aux précédentes.
« Chacun de nous a besoin de la mémoire de l’autre, parce qu’il n’y va pas d’une vertu de compassion ou de charité, mais d’une lucidité nouvelle dans un processus de la Relation. Et si nous voulons partager la beauté du monde, si nous voulons être solidaires de ses souffrances, nous devons apprendre à nous souvenir ensemble. » (4)
Dominique Brebion
(1) Edouard Glissant, Poétique de la relation
(2) Edouard Glissant, La Maison des sables
(3) Victor Anicet
(4) Edouard Glissant
Sur la même thématique :
http://aica-sc.net/2014/04/05/les-traces-amerindiennes-dans-lart-contemporain-caribeen-francophone/
La vision des vaincus
Victor Anicet
Foudres HSE 2014
Photo Jean- Luc de Laguarigue ©