Il a une forme proche de celle du piano à queue, un clavier, des cordes… Et pourtant son mécanisme est totalement différent ! En (petite) classe de musique, on apprend à distinguer les cordes frappées, des cordes frottées et des cordes pincées. Le clavecin fait partie de cette dernière famille ; seulement, ses cordes ne sont pas pincées avec les doigts comme peuvent l’être celles de la guitare ou du luth.
Regardons de plus près la construction de cet instrument.
Le clavier est plus petit que celui d’un piano et de taille variable. L’amplitude habituelle est de 4 à 5 octaves, donc moins que le piano, sans norme fixée. Certains instruments sont dotés de plusieurs claviers, particulièrement utiles pour l’interprétation de pièces nécessitant des croisements de mains et « facilitant » le contrepoint. Les deux claviers peuvent s’accoupler, comme l’orgue. La plupart des claviers sont en bois brut (et non en ivoire) ou bien teintées en couleurs inversées par rapport au piano (altérations plus claires). Certains clavecins modernes ont un système permettant de passer du diapason actuel (440 Hz) au diapason dit baroque (415 Hz – en réalité, les diapasons étaient plus variés), la différence correspondant environ à un demi-ton – il suffit de déplacer le clavier d’une corde et le tour est joué. En revanche le tempérament utilisé est rarement égal.
Comment fonctionne un clavecin ? Le système est complexe et je ne rentrerai pas dans les détails. Sachez simplement que la pièce maîtresse s’appelle le sautereau, qui est une petite pièce de bois munie d’un bec, traditionnellement en plume qui vient soulever la corde et la relâcher (comme un doigt de guitariste) et qui provoque la vibration de la corde et donc le son. Le clavecin peut posséder plusieurs jeux (comme l’orgue mais en nombre beaucoup plus limité), le plus souvent trois. L’instrumentiste peut donc choisir une registration qu’il estime adaptée à la pièce qu’il joue.
Le répertoire pour clavecin peut se diviser globalement en trois grandes catégories :
- l’accompagnement d’un ou plusieurs instrument(s) ou voix soliste (s). Le clavecin joue alors la fonction de basse continue, souvent accompagné d’une basse de viole ou d’un violoncelle. L’instrument solo (violon, flûte, dessus de viole, hautbois…) peut alors « jouer » avec l’accompagnement (dialogues…) ;
- la participation à un plus grand ensemble instrumental et vocal, toujours comme instrument d’accompagnement. Il fait partie de ces instruments que l’on entend difficilement quand il joue, mais dont l’absence est immédiatement audible ;
- le jeu en soliste, développé surtout au début du XVIIIe et dont nous reparlerons quelques lignes plus bas.
Il faut rappeler que l’une des particularités de la musique baroque est la liberté laissée au continuiste pour l’accompagnement. Les compositeurs écrivaient la ligne de basse (« mélodie » de la main gauche) et l’instrumentiste improvisait pour jouer la main droite ; ils laissaient quelques indications d’harmonisation que l’on appelle la basse chiffrée : les chiffres notés au-dessus de la ligne de basse donnent une indication de l’accord souhaité par le compositeur (quarte, quinte, la tierce n’étant jamais noté car toujours possible, etc ainsi que les diminutions ou augmentations demandées), le reste est laissé à la libre imagination du claveciniste – avec quelques règles d’harmonie plus complexes et qui ne seront pas abordées ici.
Comme le son d’une corde de clavecin est sec, nerveux et sans longues et sonores harmoniques, l’instrumentiste doit compenser par une dextérité du jeu toujours plus poussée, une véritable pluie de notes : grande dextérité dans les doigts pour les mouvements rapides, ornementation fleurie pour les mouvements lents. Sinon, on risque d’avoir une pièce très austère et assez ardue à écouter. On entend ces particularités notamment dans le répertoire pour clavecin solo. Ecoutez les œuvres de Bach, de Rameau, de la dynastie Couperin… et vous entendrez immédiatement ce que j’essaie d’expliquer ici. En même temps que l’orgue (d’ailleurs de nombreux clavecinistes étaient aussi organistes, comme Bach à Leipzig et Couperin à Saint-Gervais à Paris), le clavecin a pu offrir des possibilités nouvelles pour les instrumentistes… et pour les compositeurs : il a permis le développement et l’épanouissement de formes musicales à la fois savantes et mélodieuses qui ont fait la renommée des XVIIe et XVIIe siècles : contrepoint, fugue… Promis, j’écrirai un jour un article sur le contrepoint !
Instrument de cour – mais pas seulement – le clavecin a bénéficié d’une carrière éblouissante durant la période baroque avant de tomber dans un oubli presque total jusqu’au milieu du XXe siècle ; il fait un retour en fanfare depuis quelques dizaines d’années et bénéficie d’une « couverture discographique » impressionnante servie par des interprètes brillants ayant su redonner à cet instrument parfois mal aimé ses lettres de noblesse.
Ecoutons maintenant trois extraits du répertoire pour clavecin.
La danse des sauvages de Jean-Philippe Rameau (1683-1764) – Le compositeur reprendra cet air fameux dans son opéra-ballet Les Indes Galantes. Notez les claviers accouplés, la décoration de la caisse et le jeu très orné de l’artiste.
Une sonate de Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755), l’un des grands compositeurs français du XVIIIe qui a beaucoup écrit pour flûte (ce qui n’est pas pour me déplaire) – C’est un bon exemple d’accompagnement. Ecoutez le jeu du clavecin et du traverso !
Un extrait du Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach (1685-1750) – J’ai mis du temps à le dénicher celui-là, surtout en version pour clavecin ; on trouve facilement le prélude et la fugue en Do Majeur ou bien l’œuvre complète… et puis le claveciniste a un petit air d’Hitchcock, alors…