Mon voisin de table, un petit homme aux lunettes rondes et à la mine sévère s’était enfin détendu et nous avions engagé la conversation
« Vous revenez de vacances me dit-il, à votre teint hâlé, on peut aisément imaginer les tropiques ? »
- Effectivement, vous imaginez fort bien, répliquai-je, je reviens tout juste d’un voyage de pêche dans les Bahamas.
- Vous êtes donc pêcheur ? Quelle coïncidence, moi également, je raffole de cette distraction. Surtout la magnifique technique de la pêche à la mouche, je me dois de préciser.
-Ah ! Monsieur, comme nous sommes faits pour nous entendre. La pêche à la mouche est en effet à la pêche ce que le caviar est aux oeufs de lump. D’ailleurs, je participe activement à la vie d’un célèbre blog dédié à ce sport, blog qui porte le nom du « MOUCHING»
- Cher Monsieur, que je suis aise de l’apprendre. Le MOUCHING est de loin ma lecture préférée. Après les écrits du docteur Freud, bien entendu !
- Freud ? Seriez-vous de cette branche là ?
- Effectivement, ma spécialité est la psychiatrie. Je me dois d’ailleurs de vous dire que dans « Le MOUCHING « , à mon humble avis, vous vous rendez coupables d’omettre de parler d’une funeste maladie dont les moucheurs sont souvent les victimes.
- Maladie, dites-vous ? Vous voulez sans doute parler de simples accidents, comme de se planter un hameçon dans la moelle épinière ?
- Non, non …vous n’y êtes pas !
- Alors s’agit-il de membres brisés en chutant de rochers abrupts ?
- Que nenni !
- Alors de noyades brutales lorsque l’eau remplit brutalement nos waders ?
- Absolument pas. Je parle uniquement de maladies d’ordre psychiques liées à la pêche à la mouche.
- Je n’en crois rien, cher monsieur ! Il n’y a pas au monde de loisirs plus paisibles, j’en suis convaincu.
- Et bien, je vous invite dès demain matin à la clinique de « la Mouche de mai hystérique » où j’officie comme médecin-chef. Je me ferai un plaisir de vous y montrer quelques cas typiques.
Et le lendemain, chers lecteurs, croyez-moi, j’étais devant la porte de l’établissement et mon nouvel ami, vêtu de sa blouse blanche, m’ouvrit la porte, me pris par le bras et me fit visiter les lieux.
Dans la première salle, je découvris un petit groupe d’individus qui hurlaient en cadence : « soie de cinq, canne de huit ! » tout en montrant les dents tels des chiens enragés.
- Pas encore très grave, me souffla le médecin. Si vous permettez allons de l’avant.
Dans la seconde pièce, des patients étaient ligotés sur des planches , de la mousse blanche leur sortait de la commissure des lèvres et ils scandaient en choeur : « Nouvelle-Zélande, Cuba, Patagonie. Nouvelle-Zélande, Cuba, Patagonie,… » Et ainsi de suite.
- Ceux-là sont traités aux électrochocs. Les résultats positifs sont malheureusement assez médiocres. Mais…venez, suivez-moi.
La troisième salle était remplie d’individus n’ayant plus guère allure humaine. Une odeur épouvantable me souleva le coeur.
Le docteur m’expliqua:
- Ces pauvres bougres refusent obstinément de quitter leurs waders de nuit comme de jour et font leurs besoins dedans comme vous pouvez le sentir. Il n’y a malheureusement rien à faire pour les guérir. Rapidement, nous abrégeons leurs souffrances ( et la notre !), utilisant la méthode que nous appelons : la méthode « KILL ».
C’est radical. Ils ne souffrent pas et leurs familles peuvent reprendre comme par le passé des activités normales.
Peu après, ébranlé comme vous auriez pu l’être à ma place, je quittai cette clinique. Visite on ne peut plus instructive bien que pénible. Et même si le nombre d’entre vous refuseront d’y prêter foi, je me sens aujourd’hui dans l’obligation de rendre ces faits publics.
À petites doses, la pêche à la mouche reste inoffensive. À fortes doses, elle est, j’en suis convaincu aujourd’hui, un danger pour la santé de nos concitoyens.