Interview de Pascal Hachet, l'auteur de "Ces jeunes qui fument des joints", à lire pour éviter la panique, apprendre, comprendre et agir dans le bon sens..

Publié le 22 mai 2014 par Hizine2t @HizineMag
Pascal Hachet, psychologue clinicien, docteur en psychanalyse, thérapeute et fidèle interlocuteur de HI-zine.fr évoque avec nous  les problématiques et les solutions liées à « Ces ados qui fument des joints », titre de son dernier ouvrage*. Rencontre.



1 - HI-zine.fr : Pascal Hachet, bonjour, heureuse de vous retrouver. 

Dans "Ces ados qui fument des joints", il s’agit d’appréhender le problème, par rapport à l’adolescent consommateur et à sa famille -et ses parents, en particulier. Quels sont les signes précurseurs qui peuvent alerter les parents sur une possible consommation ?
Pascal Hachet : Bonjour Téri. 

Les « indices » qui peuvent conduire des parents à faire l’hypothèse d’une consommation de cannabis par leur adolescent sont multiples. 

Cela ressemble à un inventaire à la Prévert, mais je me lance :
- Des odeurs entêtantes et épicées persistent dans la chambre de l’intéressé(e). 

- Un tiroir y est tout le temps fermé à clef, alors que le jeune a l’habitude de laisser ses affaires éparses ( i.e. qu’il est normalement « bordélique » pour son âge)… 

- Il y a des morceaux de papier aluminium (qui servent à emballer une « barrette » de résine de cannabis) dans ses paquets de cigarettes. 

- L’adolescent se met à rouler ses cigarettes, alors qu’il fumait jusqu’alors des cigarettes manufacturées ; à moins qu’il veuille réduire ainsi le coût de sa consommation de tabac. Par les temps qui courent, ce n’est pas rare !  

-  Il possède et dissimule un assemblage de tubes de stylos et de petits récipients qui fait penser à une pipe à eau bricolée : il s’agit d’un bang (cet usage est minoritaire, mais le cannabis peut être également fumé de cette façon). 

- Il ponctionne avec régularité et discrétion son compte en banque ou il demande sans arrêt de l’argent de poche supplémentaire, qu’il ne motive et ne justifie alors pas avec des preuves d’achat, même quand ses parents le lui demandent. 

- Ses résultats scolaires sont en baisse : le cannabis ne stimule pas précisément la mémoire et les autres facultés intellectuelles. 

- Ses pupilles sont souvent dilatées : ce sont les fameux « yeux rouges » du fumeur de « bédos ».  Certaines informations s’avèrent surtout sans équivoque :
- Les parents trouvent une ou plusieurs barrettes de résine de cannabis. 

- Les parents sont mis au courant par une rumeur qui émane d’un voisin, d’un copain de l’adolescent ou d’un autre parent. 

- Surpris par un professionnel en position d’autorité, par exemple un chef d’établissement ou un responsable de centre de loisirs ou de club sportif, le jeune est ensuite dénoncé à ses parents. 

- Suite à une dénonciation, souvent faite par un vendeur de cannabis appréhendé par les forces de l’ordre et sommé d’identifier des consommateurs pour espérer un allègement des charges qui seront retenues contre lui au tribunal, la police ou la gendarmerie perquisitionne au domicile familial. 

- Plus rarement, l’adolescent « avoue » qu’il consomme du cannabis, soit parce qu’il se sent gêné d’avoir approché une substance illicite pour imiter ses copains, soit parce qu’il demande de l’aide car il se sent mal dans sa peau malgré les effets relaxants du cannabis et / ou car il sent qu’il perd pied dans sa consommation. 
2 - HI-zine.fr : Une fois les faits établis, quelles sont les réactions à éviter et celles à préconiser ?
Pascal Hachet : Il faut proscrire les réactions impulsives et brutales. Donc, même si l’envie nous en démange fortement : 

- On ne « renie » pas l’adolescent « bédomane » en tant que son fils ou sa fille. 

- On ne lui demande pas de quitter la maison dans les meilleurs délais s’il est majeur et on ne lui annonce pas qu’il sera mis à la porte le jour de ses 18 ans s’il est mineur. 

- On ne le dénonce pas à la police ou au juge. 

- On ne le frappe pas.

- On ne recherche pas à son insu la présence de THC (principe actif du cannabis) dans ses urines au moyen d’un test de détection à usage domestique (si le jeune découvre ce viol de son intimité, c’est la perte de confiance assurée !).  
Certaines réactions parentales sévères peuvent être opportunes, mais à la stricte condition d’être couplées avec des réponses d’écoute : 
- Rationner ou stopper l’argent de poche.

- Bloquer le compte en banque de l’adolescent. 

- Le changer d’établissement scolaire. 

- Lui ordonner de cesser sa consommation et de ne plus voir les personnes qui lui vendent du cannabis ou/et avec lesquelles il en fume. 

- Supprimer son téléphone portable ou/et son ordinateur. 

- Se procurer des factures détaillées pour la ligne téléphonique du domicile familial. 

- Favoriser une discussion autour de l’usage de cannabis par l’adolescent et ne pas transiger au sujet du mal que l’on peut penser du produit et de son utilisation, par exemple les risques d’accident en deux roues et d’altération des résultats scolaires.

- Le cas échéant, argumenter jusqu’à obtenir son accord pour qu’il se soumette à un test urinaire de détection du THC, mais seulement si les parents sont capables d’en interpréter les résultats et s’ils n’évacuent alors pas la possibilité d’un mal-être sous-jacent à la fumette de « joints » et, donc, la nécessité de dialoguer au profit d’un contrôle comme fin en soi.
Ici comme bien souvent, les extrêmes se touchent. Les attitudes qui pêchent par laxisme sont donc également à écarter : 
- Se montrer indifférents. 

- Banaliser le cannabis et son usage, voire les tourner en dérision, et utiliser des comparaisons à l’emporte-pièce à cet effet, par exemple « C’est moins pire que de boire de l’alcool. Tu ne deviendras pas bête et méchant et tu ne fabriqueras pas une cirrhose du foie ».  

- Faire des confidences sur le mode d’une complicité ambiguë, par exemple « Nous aussi, sur les bancs de la fac, nous fumions des pétards ». Bon, et alors ? 
Alors, comment réagir de façon constructive (ou du moins en gaffant le moins possible) ? 
- En favorisant une discussion calme autour du cannabis et de son usage. Il s’agit de faire preuve d’ouverture d’esprit et de dire clairement à l’adolescent que si sa consommation est le signe de difficultés 
- quelles qu’elles soient -, ses proches sont disposés à l’écouter et à rechercher des solutions avec lui. - En lui posant des limites non négociables sur certains points et en faisant preuve de souplesse sur d’autres points : par exemple, lui interdire de posséder et de consommer du cannabis et lui demander des comptes sur l’utilisation de son argent de poche, mais sans l’infantiliser et le poursuivre de sarcasmes. 

- En invitant l’intéressé à parler de sa consommation de joints avec un professionnel du soin s’il ne souhaite pas aborder le sujet en famille. 

- Si la communication est ardue ou/et si la consommation de cannabis semble importante (quotidienne), en contactant un centre spécialisé dans l’aide aux usagers de drogues pour exposer la situation, demander des conseils et prendre rendez-vous pour soi-même et/ou pour l’adolescent. 
3 - HI-zine.fr : En ce qui concerne l’adolescent, on voit dans l’ouvrage qu’il consulte presque toujours sur ordre extérieur : cette démarche vient rarement de sa propre initiative. 

Alors, en tant que thérapeute, comment parvenez-vous à créer un lien de confiance, propice à libérer la parole, et ainsi envisager un changement de comportement par rapport aux joints ?
Pascal Hachet : C’est un fait, la majorité des fumeurs de cannabis que je reçois est adressée sous contrainte : la famille (de temps en temps) et/ou la justice (très souvent) est alors à l’origine de leur venue. 
Dans tous les cas, je dis clairement au jeune (ou à l’adulte : les adolescents n’ont pas le monopole de l’usage des « joints » ; certains patients sont des quadras ou des quinquas… et cette tendance va en s’amplifiant) que je ne suis pas dupe du caractère « forcé » de sa présence, qu’il exprime d’ailleurs de plusieurs façons  : 
Soit il refuse net de communiquer ou me tient des propos monosyllabiques et minimalistes que je dois quasiment lui arracher aux forceps ( je dois dire – et c’est d’ailleurs ce que je fais, afin de faire tomber la tension et de permettre l’échange – que cela ne m’amuse pas plus que lui !), 

soit il se lance dans une contestation virulente et plus ou moins argumentée de la législation française sur les stupéfiants, soit encore il adopte le discours autocritique convenu, tour à tour servile et impatient, qu’il a vraisemblablement débité au procureur de la République (par exemple « J’ai fait une connerie et je le reconnais. Puisque je m’engage à ne plus fumer, alors rédigez-moi une attestation d’entretien avec vous et qu’on n’en parle plus »). 
Face à la fréquence de ces postures peu enthousiasmantes, je procède en plusieurs étapes pour essayer de donner quelque sens et quelque utilité à notre rencontre :

- D’abord, je garantis à l’usager le secret professionnel. Les services de justice n’ont besoin que d’attestations d’entretien avec moi. Le contenu des rencontres ne les regarde pas. Idem lorsque je discute seul avec un adolescent ou un jeune adulte après l’avoir accueilli avec ses parents. 

- Dans le même temps, j’explique au jeune que je ne suis pas là pour moraliser ses fumettes, mais que notre rencontre constitue une occasion pour en parler avec un professionnel du soin. C’est de sa santé dont il est question. 

- Ensuite, je m’attache dans tous les cas à évaluer avec le jeune (qui est le premier expert de sa consommation) son rapport actuel au cannabis : soit non problématique (ou bien il a « bédavé » une fois ou deux et s’est fait surprendre - « c’est ballot, gars »  -, ou bien il fume de temps en temps dans un cadre strictement festif), soit problématique (il « jointe » de façon ou bien régulière – et le « pétard » lui sert alors de béquille ou de médicament dont il peut certes se passer – ou bien addictive :
Le « pétard » représente alors pour lui une béquille ou un médicament dont il ne peut pas se passer). 

- De manière corrélative, je « sonde » sa connaissance des risques attachés aux effets du cannabis. 

- Selon le « résultat » de cette double évaluation clinique, je mets l’accent sur les possibilités de se divertir à moindre risque en cas de consommation festive et je propose un suivi psychologique (qui peut être couplé à une prescription médicamenteuse légère par un médecin généraliste) en cas de consommation « auto-thérapeutique ». 
Une écoute attentive et respectueuse face à un jeune qui masque à peine le fait qu’il est persuadé de perdre son temps en ma compagnie peut amener un fumeur festif de « joints » à revenir me voir - quelques mois ou quelques années plus tard et alors de son plein gré – si sa consommation devient problématique. 

Et il faut savoir que certains adolescents orientés par la justice lâchent dès le premier entretien « En fait, c’est un mal pour un bien de vous rencontrer, car les « joints » ne m’amusent plus du tout. 

J’en suis dépendant et c’est un vrai problème. Je ne savais pas que votre centre existait et je ne me voyais pas consulter le médecin de famille à propos de ma consommation. J’ai besoin d’aide ». 
4 - HI-zine.fr : Si l’on considère les différentes observations cliniques présentées dans le livre, il semble que la prise en charge est assez tardive, dans le sens où ce sont souvent des familles en crise qui arrivent au Centre de Soins, d’Accompagnement, de Prévention en Addictologie (CSAPA) où vous travaillez. 

N’y aurait-il pas un moyen d’anticiper pour enrayer l’escalade du conflit, qui frôle parfois l’implosion familiale ? 
Pascal Hachet : C’est vrai. J’ai mis l’accent sur les situations où ça « clashe » entre adolescents et parents. Pourquoi ? Parce qu’elles sont douloureuses à vivre, fréquentes et parce que dans les exemples que je décris l’issue de la crise familiale a été positive : ça n’est plus comme avant, mais tout le monde y a survécu. 

Dans les « cas » que j’ai proposés à la réflexion du lecteur, l’usage de cannabis est le plus souvent régulier et constitue alors un détonateur… qui met le feu à une poudrière larvée. 

Sur le plan clinique, ces moments de basculement sont précieux même si éprouvants. 

En effet, le « pétage de plombs » des uns et des autres aide  le thérapeute à repérer dans quelle mesure le « joint » est un arbre qui cache (mais aussi révèle) la forêt de dysfonctionnements familiaux préexistants et, dans certains cas, réactive une souffrance psychique chronique et plus ou moins « enterrée » au niveau des parents. 
Rappelons que crise ne signifie pas catastrophe. 

Une catastrophe, c’est ce qui se passe quand une crise tourne mal, ne peut pas être surmontée. Le rôle d’un psychologue, tant auprès d’un individu que d’un petit groupe, c’est que chacun vive cette épreuve sans y laisser mentalement sa peau et sans passage à l’acte aux conséquences irréversibles. 
Ceci dit, en amont, j’aide également des parents dont les enfants abordent l’adolescence à initier une discussion informative et préventive en famille au sujet de la consommation de substances psychoactives. 

Cela arrive en particulier lorsque j’ai dû intervenir auprès d’un aîné qui fumait des « joints », qui a depuis pu se débarrasser de cet échafaudage sensoriel  mais dont les frères et sœurs se confrontent à présent et à leur tour aux splendeurs et aux tourments de l’âge dit ingrat. 

Cette intervention « préventologique » précoce se limite parfois à une transmission pédagogique d’informations dont le jeune ne perçoit pas (encore) l’utilité. Mais elle permet aussi au psychologue de discerner des formes de mal-être – surtout lorsqu’elles ont une traduction comportementale marquée (violences contre autrui ou contre soi, repli) – qui font volontiers le lit des usages répétés de drogues licites et illicites. 5 - HI-zine.fr : Ce qui est particulièrement intéressant de relever, c’est le dévoilement de votre propre ressenti, en tant que thérapeute, à travers ces rencontres, dont l’issue est parfois frustrante, voire déstabilisante. Il est plutôt rare que les professionnels se livrent avec autant de sincérité. 
Comment cette envie de partager vos questionnements et vos doutes est-elle née ? Et comment a-t-elle été reçue par vos pairs ?
Pascal Hachet : Jusqu’à l’orée de notre siècle, les « intervenants en toxicomanie » recevaient surtout des héroïnomanes, qui constituent d’ailleurs encore la majorité des consommateurs de produits stupéfiants demandeurs d’aide. La prise en charge de ces personnes est longue et difficile… des deux côtés de l’alliance thérapeutique. 

Dans ce contexte, l’incitation assez récente des pouvoirs publics à développer aussi des pratiques de prévention clinique des addictions a d’abord donné aux professionnels l’impression que la prise en charge des consommateurs de cannabis (qui certes, pour la plupart, ne sont pas « accros ») aurait des allures de promenade de santé… 

Assez vite, la « découverte » d’un grand nombre de fumeurs de « joints » non dépendants mais réguliers et mal dans leur peau - en risque réel d’entretenir un rapport addictif avec ce produit et/ou d’autres (en premier lieu l’alcool) - nous a voués à déconstruire cette représentation lénifiante. 

Prévenir une addiction dont on sent que la probabilité d’installation est forte nécessite un accompagnement psychoéducatif soutenu et parfois stressant. Cette réalité m’a donné envie de témoigner de mes « états d’âme professionnels » idoines. 

Cette évocation a été d’autant bien accueillie par les collègues qui ont bien voulu me lire… qu’ils la partageaient a priori (je travaille dans une association, donc en équipe, de surcroît pluridisciplinaire).
6 - HI-zine.fr : Pour finir, je suis une ado qui glisse vers une consommation intensive de cannabis, j’ai besoin d’aide mais refuse de mettre mes parents au courant. Que dois-je faire ?
Pascal Hachet : Prenez contact avec le CSAPA le plus proche de chez vous. Presque toutes ces structures comportent une Consultation Jeunes Consommateurs (CJC,) dédiée aux adolescents et post-adolescents qui font usage de substances psychoactives. Les mineurs peuvent y être reçus sans que leurs parents soient mis au courant. 

Pourquoi ? Parce que sur le plan légal le cahier des charges des CJC se décline en termes de prévention des addictions et non en termes de soins aux « addicts ». 
Et dites-vous votre crainte de la réaction de vos parents face à l’ampleur de votre consommation de « joints » - voire de son existence même - n’est pas forcément fondée. Quitte à découvrir que leur ado « jointe », pères et mères s’accommodent bien mieux d’un fumeur de cannabis en difficulté mais déterminé à changer que d’un fumeur « simplement » festif mais arrogant, « tête brûlée » et / ou « super-glandeur » - et fier de l’être - et en train de « planter » sa scolarité du fait de son inconséquence globale. 

Donc, sachez que vous n’êtes pas à l’abri d’une… bonne surprise en ce qui concerne la capacité de vos parents à vous écouter sans jugement et à vous soutenir.  
HI-zine.fr : Pascal Hachet, merci.
Interview Téri Trisolini

*"Ces ados qui fument des joints"Pascal HACHET©2014 - Erès poche - enfance et parentalité - 13.00 €