Il n'a rien compris, rien appris. A moins qu'il ne s'agisse d'un coup de coeur, ou d'une conviction intime.
Cette semaine, quelques jours avant le premier et seul tour de l'élection européenne, Nicolas Sarkozy revient sur la scène politique sous deux casquettes: une tribune bien éduquée publiée par le Point, et des confidences en "privé" et "exclusives" dans les colonnes de l'hebdomadaire de la droite extrême, le brulot de la croisade anti-mariage gay, le canard des clichés islamophobes, le bien nommé "Valeurs Actuelles", sur un seul et unique terrain, l'immigration.
Mais il n'est pas seul.
Sarkozy revient à l'extrême droiteIl n'a rien compris, rien appris, rien retenu de son échec en 2012. Nicolas Sarkozy semble poursuivre la ligne Buisson, son ancien conseiller spécial issu de l'extrême droite et par ailleurs maniaque de l'espionnage clandestin.
Se confier à Valeurs Actuelles est un geste fort vers ce qu'il considère être son coeur électoral. Que les centristes déboussolés et les Républicains sincères retiennent la leçon.
Le story-telling est comme toujours soigné.
" Il a tombé la veste. Il fait chaud, ce jour là, dans les bureaux de la rue de Miromesnil, où Nicolas Sarkozy reçoit ses hôtes, députés, simples élus ou journalistes pour parler de politique. Sur sa chemise, les initiales N.S montrent qu’on est face à un ex chef d’Etat désireux de replonger dans l’arène, davantage que face à un politicien soucieux de soigner son image ou de peaufiner son profil de présidentiable."Nicolas Sarkozy, donc, lâche ses confidences exclusives à Valeurs Actuelles quand le texte poli est publié dans le Point. Quelle belle stratégie de communication ! On dirait du Fouks et compagnie, version Sarkozy 2017.
Sarkozy oublie la crise, la Troïka, la BCE
Sur l'Europe, son discours de fond est d'un vide sidéral ou sidérant. Sarkozy oublie la question démocratique, que pourtant ses propres amis reconnaissent enfin. Il ignore la question sociale, on n'est pas surpris. Il néglige la question économique - la dépression austéritaire dans laquelle l'Europe est plongée - on comprend pourquoi.
Il se rabat, se concentre sur la question migratoire, le terrain de jeu de l'extrême droite. La diversion est belle, on évite de parler politique économique, bancaire ou sociale.
Qui est surpris ?
Hormis l'immigration, les idées de Sarkozy sur l'Europe sont reléguées au second plan, les confidences ne portent que sur les "basanés" qui menacent "notre" identité. On se pince aussi en lisant les postures infantiles. le story-telling du "Chef". L'UMP est vrac, la France est un vrac, il faut un "Leader", un vrai. C'est un scenario napoléonien ou quasi-mussolinien qu'on nous vend, une misère démocratique, une caricature bonapartiste.
Sarkozy "sait que la droite ne pourra surmonter ses divisions sans la prise de parole d’un vrai chef, à la doctrine incontestable et à l’autorité incontestée". Et du coup, forcément, finalement, "il affirme sans sourciller, quand nous lui posons la question – brûlante – de la ligne de l’UMP sur l’Europe", il affirme cette chose incroyable :
"Peu importe ce que dit l’UMP sur l’Europe."Oui, vous avez bien lu, comme moi, comme nous tous.
"Peu importe ce que dit l’UMP sur l’Europe."
Sarkozy conserve son obsession de 2012. Sans rire, ni blague. C'en reste terrifiant.
"Sur l’immigration, ce n’est plus possible"Il insiste: "il faut continuer dans la veine de ma campagne de 2012. Vous vous souvenez du discours de Villepinte ?" Avant Villepinte en 2012, vous souvenez-vous du discours de Grenoble ?
Villepinte, complète Sarkozy "C’était un magnifique discours. Tout y était. Aujourd’hui, il faut proposer une autre Europe aux Français. Sur l’immigration, ce n’est plus possible. "
Sarkozy ne renonce pas. Patrick Buisson rôde encore, mais on comprend que l'homme prêchait facilement, que le terrain était bien favorable.
Pour sauver l'idée européenne, et "contre Le Pen", Sarkozy a la martingale: récupérer les idées de sa rivale, mais avec un habillage plus courtois qui préserve le grand marché.
"Quand je reviendrai, je reviendrai avec un discours sans ambiguïté sur le sujet. Je reviendrai en proposant un Schengen 2, sans les défauts de la zone de libre circulation, plus efficace en termes de lutte contre l’immigration clandestine. Vous verrez, quand je proposerai ça, Marine Le Pen dégonflera instantanément."
Ben voyons.
Cet optimisme identitaire fait frémir.
L'immigration les obsède tous encore...
Il y a pourtant des signes que l'immigration n'est pas perçue comme ce danger que d'aucuns agitent à longueur de discours. En France, un film "phénomène" - "Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu ?", bientôt 9 millions d'entrées - s'amuse des clichés entre communautés. Son incroyable succès est peut-être diversement interprété, mais sa générosité n'est pas en cause. Certains applaudissent, d'autres râlent, le fond dérange. Une autre comédie, "Amour sur place ou à emporter", adaptée d'une pièce de théâtre, livre à son tour ses constats crus sur le racisme. Ces films, ultra-visibles mais exceptionnels, témoignent d'une chose: on peut parler des différences, des vraies, sans haine ni crainte.
Et pourtant, quelques politiques, relayés par des médias court-termistes, ont visiblement choisi une autre voie, plus dangereuse.
Au début, la droite était mal à l'aise.
François Hollande avait rompu avec le discours de régularisation généreuse qui prévalait avant. Nulle promesse de régularisation massive, une relative fermeté dans le discours, et... Manuel Valls à l'Intérieur qui conservait par ailleurs toujours la politique migratoire, funeste amalgame.
Manuel Valls, ministre de l'intérieur, a rapidement effacé par ses outrances verbales (et par quelques actions au long cours comme la déstabilisation des négociations entre pouvoirs publics et associations sur la sédentarisation des roms) les bénéfices de quelques premières mesures courageuses (clarification des conditions de régularisation, assouplissement des conditions de naturalisation , suppression de la circulaire Gueant).
Volontairement ou pas - lui seul peut décider de l'avouer - Valls a cédé à l'instrumentalisation de la question migratoire. Il ne fait plus du chiffre, mais le volume d'expulsions est constamment publié, (pour grimper à plus de 36.000 en 2012, et redescendre à 27.000 en 2013) voire "applaudi". Les conditions elles-même d'expulsions de sans-papiers font toujours aussi scandale.
Au final, sur ce sujet comme d'autres, Valls horrifie à gauche autant qu'il séduit à droite.
Finalement, l'UMP entretient la flamme. Un temps, Copé avait décidé de mobiliser ses troupes pour dénoncer "l'imposture". Puis, constatant fin 2013 combien Manuel Valls "faisait le job", le député-maire de Meaux a choisi d'entretenir la thématique migratoire dans le débat public. C'est une misère, une instrumentalisation politique de bas étage, l'expression d'un stress ou d'un cynisme politique évident. La tête de l'UMP rejoue au débat identitaire, utilise l'immigration (et, bien sûr, la délinquance) comme un épouvantail pour rebondir lors des prochains scrutins.
En décembre dernier, le parti organisait ainsi une première convention sur les "flux migratoires". Une autre est prévue plus tard sur la question "identitaire". On salive d'avance. On ne sait pas si ces conventions ont été lourdement facturées par l'agence Bygmalion, dirigée par les proches du président Copé. On ne sait pas si nous aurons droit aux innommables "témoignages-dérapages" d'une fraction effrayée comme en 2009.
Pour l'heure, on pouvait juger sur pièce des interrogations de l'ancien parti majoritaire. Deux questions, pourtant essentielles, n'étaient pas posées:
1. Que n'avait-il pu faire en une décennie aux commandes du pays ?
2. François Hollande avait-il procédé à des régularisations massives ?
On pouvait rappeler quelques chiffres...
Acquisitions de la nationalité française:
2007: 131.738
2010: 143.275
2012: 96.088
2013: 97.318
Bien sûr, le Front national n'a pas abandonné l'idée de jouer des peurs identitaires pour gagner des voix. Le sujet migratoire, s'il n'est plus au centre de l'agenda officiel comme du temps du débat identitaire (novembre 2009-mars 2010), du discours présidentiel de Grenoble (juillet 2010) ou de la campagne de 2012, reste encore très présent.
Naturalisations par décret:
2007: 62.372
2010: 87.033
2012: 43.067
2013: 49.757
Car le FN n'était pas seul. Même à gauche, l'immigration est restée une thématique forte, trop forte, comme un sujet d'opposition sociétale. Deux ans après la défaite de l'Autre, le constat est, pour tous, sévère.
A la gauche de gouvernement, l'échec de n'avoir su désactiver ce sujet du débat politique. A la gauche d'opposition, de s'être servi du sujet pour mieux se différencier de l'équipe Hollande. A l'extrême droite, on se frotte les mains. Entre les deux, la droite dite classique a décidé de plonger dans la surenchère à son tour.
Hollande aussi
Le 6 mai, Hollande lui-même réactive le sujet du droit de vote des étrangers aux élections locales. C'est une promesse de campagne qui nécessite un changement constitutionnel, et donc l'approbation par le Parlement, avec 3/5ème des voix. Hollande n'a pas cette majorité-là. Pire, le Sénat a de fortes chances de rebasculer à droite au prochain scrutin de septembre.
On s'interroge: pourquoi donc réactiver cette promesse de campagne alors qu'elle n'a quasiment aucune chance d'aboutir ?
Dans quelques jours, le successeur de Valls à l'Intérieur, va dévoiler son projet de loi sur la réforme de l'asile et le séjour des étrangers. Bernard Cazeneuve hérite du dossier. L'actuel ministre est plus calme, plus discret, moins outrancier que son prédécesseur. Mais il n'a encore rien fait. Et il est sous tutelle. Hollande lui préférait Rebsamen, que Valls détestait. Cazeneuve est devenu ministre de l'intérieur par compromis.
Bref, voici deux textes, sur des sujets d'immigration - le séjour et l'asile. Un cocktail par nature explosif. Dans son édition du 20 mai, le site Mediapart en livre les grandes lignes (*).
L'accélération de la procédure d'asile recouvre deux choses: les dossiers seront plus vite traités (deux ans en moyenne au total), mais les déboutés du droit d'asile seront aussi plus vite expulsés. Les centres de l'OPFRA sont engorgés, avec 66 251 demandes en 2013: "l’allongement des délais d'examen (...) a pour effet d’engorger les centres d’hébergement (21.400 places) prévus pour les demandeurs d’asile et d’accroître les coûts liés aux allocations qui leur reviennent de droit."
Le texte, reconnaît Mediapart, accroît l'indépendance et les moyens (juridiques) d'action de l'OPFRA: l'office pourra statuer plus vite. Il reprend aussi des dispositions européennes: "la demande d’asile ne peut être examinée que par un seul État membre de l’UE"
L'autre texte, sur l'accueil d'étrangers, prévoit la création d'une carte de séjour pluriannuelle et d'un « passeport talent ». Cela simplifie de nombreux tracas. Le gouvernement explique vouloir "sécuriser le parcours d’intégration".
Mais le projet cède à quelques bêtises de l'ancienne Sarkofrance. Les Français de souche parlent mal leur langue natale. Qu'importe, on s'efforcera encore et toujours de "renforcer l’exigence de connaissance de la langue française". Où sont donc les moyens pour apprendre la langue nationale ?
Et l'Europe dans tout cela... Les élections européennes sont une nouvelle occasion de "remettre une pièce" dans ce mauvais jukebox. La semaine dernière, le Figaro en a donc rajouté une couche, avec le "talent" qui est le sien en la matière: "clandestins, le rapport choc de l'Europe". Le spectre d'une invasion par des vagues migratoires incontrôlées est régulièrement agitée. Or l'Europe n'est pas accueillante. Combien de naufrages en mer, d'expulsions même intra-européennes, de tracasseries (pour ne pas dire pire) contre les migrants partout en Europe ?
Le scrutin est comme du pain béni pour agiter les peurs à l'échelle du continent. Que le FN s'y engouffre n'est nullement surprenant. Que Nicolas Sarkozy cède à la tentation frontiste pour préparer son retour en 2017 est terrifiant pour la droite républicaine.
(*) article payant.