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Maroc : pourquoi refuser de ratifier le statut de la CPI ?

Publié le 21 mai 2014 par Unmondelibre
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La signature par le Maroc du Statut de la Cour Pénale Internationale (CPI) le 8 septembre 2000, est un acte de bonne foi de la part des autorités marocaines sur le chemin de la lutte contre l’impunité et le renforcement de l’Etat de Droit. Toutefois cette signature n’est pas suivie d’une ratification du statut de la Cour. Un refus qui suscite plusieurs questions.

La ratification du statut de la Cour était l’une des recommandations de l’Instance Equité et Réconciliation (IER), l’instance qui est venue pour tourner la page des années de plomb au Maroc. Ses recommandations ont constitué une base politique pour soutenir la transition dans laquelle s’est engagé le pays.

Mais, les réfractaires à la ratification du Statut de Rome prétextent l’incompatibilité juridique entre le Statut de cette dernière et l’arsenal juridique marocain. Ils expliquent que l’article 27, relatif à l’immunité, constitue un droit d’ingérence et surtout une atteinte à la personne du Roi, pierre angulair du système politique marocain, car même sa qualité de chef d’État ne l’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent statut, pas plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine. Quant à l’article 29 qui stipule que «les crimes relevant de la compétence de la Cour ne se prescrivent pas» c’est-à-dire que même au cas où une personne bénéficie d’une grâce royale, elle ne peut se voir soustraite à une poursuite et au jugement de la CPI. Une telle disposition annulerait, de facto, l’une des attributions royales, prévue par l’article 34 de la Constitution qui stipule que «le Roi exerce le droit de grâce».


A vrai dire, l’argument de la spécificité juridico-politique marocaine est instrumentalisée par ceux qui veulent échapper à toute poursuite judiciaire et que ne veulent pas rendre de comptes. En brandissant cette « spécificité », ils cherchent tout simplement à l’État de Droit c’est-à-dire  au principe d’égalité de tous devant la loi et surtout à l’indépendance de la justice, pierre angulaire de toute démocratie et de toute économie de marché.

L’on peut même affirmer que la non ratification du statut de la CPI constitue une violation de l’esprit de la nouvelle constitution 2011. En effet, celle-ci a apporté des ouvertures institutionnelles et juridiques qui doivent être bien exploitées.Le nouveau texte fondamental du Maroc inclut un Titre II dédié aux Libertés et droits fondamentaux (articles 19 à 40). Il supprime toute référence à la sacralité de la personne du Roi en lui substituant la notion plus moderne d’inviolabilité et de respect dû. Et surtout insiste sur l’État de droit et la reddition des comptes aussi bien dans le domaine politique qu’économique.

Par ailleurs, l’alibi de la souveraineté, brandit par les détracteurs de la CPI, n’est pas soutenable surtout que désormais la souveraineté appartient au peuple.Le principe de la souveraineté nationale est affirmé par l'article 2 de la Constitution : « la souveraineté appartient à la Nation qui l'exerce directement par voie de referendum, et indirectement, par l'intermédiaire de ses représentants ». De telles dispositions constituent un pas relativement positif pour l’établissement d’un cadre légal conforme aux standards internationaux.  Le Statut de la CPI renforce cette souveraineté populaire, et ne peut que consolider la marche vers l’instauration de l’État de Droit au Maroc.

Si le pays est prisonnier des intérêts de certains lobbies, ilreste aussi dépendant vis-à-vis des forces étrangères. Il est sensible à la pression américaine contre la CPI, ce dont atteste la signature (non officielle) de l’accord bilatéral entre le Maroc et les États-Unis par lequel les ressortissants américains ne sont pas susceptibles d’être transférés et présentés devant la CPI.

En effet, depuis la fin juillet 2002, les États-Unis ont approché quasiment tous les pays du monde, sur les cinq continents, dans le but de signer avec ces États des accords bilatéraux garantissant le non transfert des ressortissants américains devant la CPI, estimant qu’ils peuvent être la cible de procès à motivation politique réclamés par des pays “hostiles”.

En septembre 2004, plus de 80 États auraient signé de tels accords avec les États-Unis et une vingtaine auraient été ratifiés. Il est extrêmement difficile de connaître le nombre exact de ces traités qui se concluent généralement dans le silence et dans l’opacité, et ne sont parfois jamais soumis aux Parlements pour ratification (accords en forme simplifiée).

Il faut souligner à ce niveau que le Maroc reste toujours sous la pression  des Etats Unis d’Amérique qui prévoient de retirer l’aide du Fonds économique de soutien à certains gouvernements refusant d’accorder l’immunité aux ressortissants américains risquant d’être traduits devant la CPI. Et ceci constitue une des raisons majeures de la non ratification du Maroc du Statut de Rome.

Dès lors, l’on s’aperçoit que les arguments de la spécificité du système politique et de la souveraineté ne sont que des paravents afin de cacher la volonté de sabotage des réformes visant la consolidation de l’État de droit dans ce pays. La vérité est ailleurs, c’est-à-dire dans la collusion des intérêts particuliers qu’il s’agisse de groupes nationaux ou d’États étrangers.

Seulement, l’Etat marocain est un Etat souverain, il doit avoir le courage de poursuivre les responsables des violations graves contre les droits de l’Homme, de rendre justice aux victimes et de réduire les risques de récidive. La nécessité de ratifier le Statut de la CPI en tant que dispositif international contre l’impunité, est de plus en plus une nécessité afin de consolider le modèle de démocratisation que le Maroc ne cesse d’exporter aux delà des frontières.

Siham Mengad, Doctorante en Droit international et Sciences politiques au GERPAD, Université de Fès (Maroc) - Le 21 mai 2014


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