LE PROTECTEUR (d'après Maupassant)
Fils d’un huissier, Jean Marin
Faisait son droit au quartier Latin.
Dans les différentes brasseries
Qu’il fréquentait, il était devenu l’ami
De nombreux étudiants de la Faculté.
Six années plus tard, l’un d’eux fut élu député.
Marin devint son chien fidèle,
Celui qui fait les corvées
Et les démarches inusuelles.
Ce député fut nommé ministre. Un mois après,
Marin, qui était avocat,
Siégeait au Conseiller d’État.
Dès lors, il avait plaisir à se montrer.
Il disait aux marchands chez qui il entrait :
-« Je suis Conseiller d’État…
Si vous avez un problème délicat,
Alertez-moi, je peux vous être utile.
Des lettres de recommandation,
Il en écrivait des milles.
Il offrait son appui avec générosité.
Quand il rencontrait une relation,
Il s’informait de sa santé.
Puis, sans attendre, il déclarait :
-« Je suis Conseiller d’État, vous savez.
Dans ma position,
On a le bras long.
Si vous êtes, un jour, dans l’embarras,
Ayez recours à moi. N’hésitez pas.
Un matin qu’il se rendait au Conseil d’État,
Il pleuvait dru.
Il héla un fiacre qui ne s’arrêta pas.
Il s’en fut donc à pied par les rues.
Un vieux prêtre marchait devant lui.
Il l’abrita sous son parapluie :
-« Je suis Conseiller d’État.
Je me rends au Conseil d’État.
Où allez-vous, monsieur l’abbé ? »
Le curé semblait hésiter :
-« Je vous remercie.
Je vais par là aussi. »
-« Vous venez à Paris pour vous distraire ? »
-« Non. J’ai une démarche à faire.
Une petite difficulté avec…
Avec mon évêque. »
-« Mais justement, c’est le Conseil d’État
Qui règle ses choses-là.
Usez de moi, dans ce cas. »
-« Vous êtes trop bon ;
Je vais en effet au Conseil d’État.
J’ai à voir MM Giroud et Savon
Et peut-être aussi M. Petitpas. »
Marin l’arrêta :
-« Mais ce sont des amis,
Mes meilleurs amis,
Des collègues excellents,
Des gens charmants.
Je vais vous recommander à tous les trois
Et chaudement.
Comptez sur moi. »
Le curé se confondit en remerciements.
Marin était aux anges :
-« Ah ! Vous avez une fière chance,
Monsieur l’abbé. Vous allez voir,
Votre affaire va se régler grâce à moi.
Vous allez voir.
Comptez sur moi. »
Au Conseil d’État, Marin menait
Le prêtre dans son cabinet
Et rédigea ces trois mêmes lettres :
Mon cher collègue, permettez-moi
De vous recommander un vénérable prêtre,
Des plus méritants, M. l’abbé…
Il s’interrompit pour lui demander :
-« Votre nom…? »
-« Abbé Dormoy. »
Dormoy qui a besoin de votre intervention
Pour régler
Une affaire dont il va vous parler.
Mon cher collègue, je vous prie…
Quand il eut écrit
Les trois lettres,
Il les remit au prêtre
Qui le remercia chaudement
Et prit congé, tout content
Besogne accomplie,
Marin rentra chez lui, dormit en paix,
Se réveilla tout à fait reposé.
Il se fit apporter le journal, l’ouvrit
Et lut avec émoi :
Un prêtre nommé Dormoy,
Ayant conspiré
Contre le gouvernement, a été appelé
Au Conseil d’État
Pour s’expliquer.
Par ailleurs, il vient d’être cassé
Par son évêque, Mgr Costa.
Or, hier matin
Il a trouvé un ardent défenseur,
En la personne du Conseiller Marin,
Qui a donné à ce malfaiteur
Les appuis les plus pressants
Auprès de trois collègues du Conseil d’État.
L’attitude inqualifiable, et cetera…
Marin se précipita chez Giroud
Qui lui dit vertement
-« Vous êtes fou
De me recommander
Un tel conspirateur.»
-« J’ai été trompé…
Il n’avait pas l’air d’un comploteur.
Il m’a indignement joué.
Faites-le condamner sévèrement,
Très sévèrement.
Je vais écrire…
Dites-moi à qui dois-je écrire
Pour le faire condamner.
J’irai trouver
Le Procureur et l’Archevêque.
Oui, l’Archevêque… »
Et tout d’un coup,
Marin s’assit devant le bureau de Giroud,
Et écrivit : Monseigneur, j’ai l’honneur
D’informer votre Grandeur
Que je viens d’être victime de la fausseté
Et des mensonges d’un certain abbé…
Puis se tournant vers Giroud, il lui dit :
-« Mon cher ami,
Que cela vous serve de leçon.
Ne faites jamais de recommandation ! »