A la fin des années 70, c’est à Nice que Jacques Médecin monta de toutes pièces un Salon du Livre mégalomaniaque pour concurrencer celui de la capitale qui battait de l’aile. Puis Pau, Brive et Bordeaux suivirent avec moins d’ambition mais en créant des manifestations pérennes. Au milieu des années 80, c’est un autre mouvement de fond qui vit le jour – que je comparerai à celui des radios libres – les « Fêtes du Livre » ou la version en modèle réduit des grands salons avec un esprit kermesse et bon enfant. Cette multiplication des évènements créés autour de l’édition fut du pain béni pour les micro-éditeurs ainsi que pour les auteurs auto-édités. Nous pûmes trouver notre public sans trop de difficulté et assurer une diffusion correcte à notre production, les librairies n’ayant ni l’envie ni la possibilité d’absorber celle-ci. L’une des toutes premières Fête du Livre fut organisée en Dordogne le 15 août 1985 à Beauregard-et-Bassac. Ce minuscule point sur la carte, un village de 183 habitants, s’il n’avait plus de curé, possédait un maire et un instituteur en la personne de Patrice Perrier. Ce trublion monté sur ressorts, le cheveu et la barbe en bataille, entretenait un look d’inspecteur du guide du Routard, assez surprenant dans ces campagnes où les édiles avaient encore des allures de notables propres sur eux. Preuve que l’exception confirme la règle, Patrice Perrier restera maire de cette commune jusqu’aux élections municipales de 2014. En 1986, il créera Gulliver Diffusion, une société spécialisée dans la distribution des éditeurs du Périgord au niveau national. En toute logique, je lui confiais une partie de mon catalogue. Son entreprise était malheureusement vouée à l’échec et dans ce domaine la foi du charbonnier ne suffit pas. Il cessera son activité trois ans plus tard.
Ce 15 août 1985, comme une quarantaine d’auteurs et d’éditeurs, notamment bretons puisque la Bretagne était la région invitée, nous sommes venus dès le matin installer notre stand sous la halle du XIIème siècle. Olivier Czuba, comme d’habitude, n'a pas rechigné à me prêter main-forte. A ce moment précis de la journée, seuls quelques habitants de Beauregard s’agitent par petits groupes. Rien ne laisse présager la foule compacte qui se pressera dans les allées quelques heures plus tard. Deux, trois mille personnes ? Impossible à évaluer tant est exiguë la place du village.
A 11H00 la messe en plein air, tradition sympathique même pour les non croyants, me donne l’occasion de retrouvailles émouvantes : le père Bernard Dérian m’a accompagné à plusieurs moments de ma vie et notamment il a célébré mon mariage. Puis son sacerdoce l'a ramené dans sa région d'origine, la Bretagne. Invité à participer à cette journée justement intitulée « du Livre et des régions » il s'était joint au groupe de bretons qui avaient affrété un bus pour l'occasion. Ce devait être notre dernière rencontre puisqu'il décédera deux ans plus tard dans un accident de la circulation. Sous la halle, peu d’indifférents et le dialogue s’engage facilement entre auteurs et lecteurs potentiels. Je garderai longtemps l’image de cette petite fille de cinq ou six ans qui se plongea de longues minutes durant dans la lecture de Carnations[1]insensible au brouhaha ambiant.
Vers quinze heures, Michèle Chouet[2] nous rejoint sur le stand en étrange compagnie. Imaginez la chaleur accablante d’un quinze août et l’apparition au milieu des shorts et des tee-shirts d’un petit bonhomme en costume trois-pièces, rond et chauve, pourvu d’une barbe blonde taillée court : Vladimir Volkoff. J’appris plus tard que Serge Montigny, alors président du CRL Aquitaine[3], avait fait ce jour-là la connaissance de sa future épouse, Catherine Guillery. Le résultat financier de cette journée fut certes plus que correct mais j’en ai surtout retenu que ce type de manifestations étaient au bon format pour nous : nombreuses, à proximité, peu onéreuses et propices aux rencontres de qualité. Aujourd'hui, les fêtes du Livre existent toujours. J’ai le sentiment qu’elles ont perdu une partie de leur âme. A l’époque des blogs et du tout internet les lecteurs se font rares dans les allées. D'ailleurs, en 2014 la production de Germes de barbarie est diffusée principalement en ligne sur un site marchand.
[1] Carnations, anthologie poétique de Christian Cottet-Emard, Anne-Marie Arii et Bernard Deson, Editions Germes de Barbarie, 1981.
[2] Membre active de l’association Les Amis de la Poésie de Bergerac avec qui je répétais alors la pièce de Jean Cocteau La Voix humaine.
[3] Centre régional des Lettres Aquitaine.