NOTES D’UN VOYAGEUR (d'après Maupassant)
Le train s’enfonce dans la nuit, haletant,
Éclairant murs, haies, bois, champs.
Dans le compartiment, en face de moi
Une dame et un monsieur à grosse voix.
À ma gauche, un bossu tient le coin.
À droite, un jeune ménage ou du moins
Un jeune couple. Sont-ils mariés légalement ?
La femme est blonde et lui, roux ardent.
Dès le début du voyage,
La dame dévisage
Le jeune d’un air joyeux.
Le monsieur à grosse voix ferme les yeux.
Le bossu se tient comme un paquet
Jeté sur la banquette.
Le monsieur à grosse voix semble inquiet.
Je fais semblant de dormir et je guette.
Les jeunes gens demeurent sans parler.
Neuf heures. La dame penche la tête.
Elle dort. C’est fait.
Le bossu ronfle comme une toupie.
À mon tour, je m’assoupis
Mais de temps en temps, je me réveille.
Nous arrivons à Marseille
Les jeunes gens sont enlacés.
Vingt-six minutes d’arrêt.
Je vais m’asseoir à la buvette et déjeune.
Quand je reviens, nous avons le bossu en moins
Et deux vieux en plus, dans les coins.
Nous repartons.
Les ménages, l’ancien et le jeune,
Déballent des provisions.
Poulet par-ci, veau froid par-là, sel, poivre,
Cornichons dans un mouchoir…
Tout ce qui peut vous dégouter
Des nourritures pour l’éternité !
Je ne sais rien de plus inconvenant
Que de manger dans un compartiment
Où se trouvent d’autres voyageurs.
Vous avez le tabac en horreur,
…Et votre voisin de banquette
Fume cigarettes sur cigarettes !
Rendez à ces goujats la monnaie
De leur grossièreté.
Livrez-vous aux plus gênantes excentricités :
Mettez-vous à chanter, à hurler,
Sifflez si vous voulez, retirez vos souliers,
Coupez-vous les ongles des pieds,
Crachez les pépins
De votre melon ou ceux du raisin
Mangez de l’ail,
Renversez votre chope de bière
Bafrez comme un cochon vos mangeailles
Pour montrer à ces malappris
Ce qu’il convient de ne pas faire.
Nous suivons la mer bleu-gris.
Le soleil inonde ces villes si belles :
Hyères, Cannes, Saint-Raphaël…
Sur son rocher, voici Monaco
Et derrière, Monte-Carlo.
Plus loin, Menton. Les oranges murissent ;
Les poitrinaires guérissent.
Un des deux vieux nous raconta
Des histoires d’assassinats
Dont ce drame-ci :
« Dans le train, un homme voyait son fils
Se pencher à la fenêtre pour s’amuser.
Sans cesse son père lui disait :
‘‘Hé ! prends garde, Mattéo,
Te penche pas trop,
Que tu pourrais t’attraper du mal, voyons !’’
Mais le garçon,
Comme il n’entendait point,
Ne répondit seulement point.
Alors son père le tira par le veston
Pour le faire rentrer dans le wagon.
Le corps tomba sur nos genoux.
L’enfant n’avait plus de tête sur son cou. »