Un jour elle n'est plus là. Vous vous réveillez et elle n'est plus là. Elle est partie dans la nuit. La trace du corps est encore dans les draps, elle est froide.
C'est l'aurore aujourd'hui. Pas encore le soleil, mais les abords du ciel sont déjà clairs tandis que du centre de ce ciel l'obscurité tombe encore sur la terre, dense.
Il n'y a plus rien dans la chambre que vous seul. Son corps a disparu. La différence entre elle et vous se confirme par son absence soudaine.
Au loin, sur les plages, des mouettes crieraient dans le noir finissant, elles commenceraient déjà à se nourrir des vers de vase, à fouiller les sables délaissés par la marée basse. Dans le noir, le cri fou des mouettes affamées, il vous semble tout à coup ne l'avoir jamais entendu.
Elle ne reviendrait jamais.
Le soir de son départ, dans un bar, vous racontez l'histoire.
D'abord vous la racontez comme s'il était possible de le faire, et puis vous abandonnez. Ensuite vous la racontez en riant comme s'il était impossible qu'elle ait eu lieu ou comme s'il était possible que vous l'ayez inventée.
Le lendemain, tout à coup, vous remarqueriez peut-être son absence dans la chambre. Le lendemain, peut-être éprouveriez-vous un désir de la revoir là, dans l'étrangeté de votre solitude, dans son état d'inconnue de vous.
Peut-être vous la chercheriez au-dehors de votre chambre, sur les plages, aux terrasses, dans les rues. Mais vous ne pourriez pas la trouver parce que dans la lumière du jour vous ne reconnaissez personne. Vous ne la reconnaîtriez pas. Vous ne connaissez d'elle que son corps endormi sous ses yeux entrouverts. La pénétration des corps vous ne pouvez pas la reconnaître, vous ne pouvez jamais reconnaître. Vous ne pourrez jamais.
Quand vous avez pleuré, c'était sur vous seul et non sur l'admirable impossibilité de la rejoindre à travers la différence qui vous sépare.
De toute l'histoire vous ne retenez que certains mots qu'elle a dits dans le sommeil, ces mots qui disent ce dont vous êtes atteint: Maladie de la mort.
Très vite vous abandonnez, vous ne la cherchez plus, ni dans la ville, ni dans la nuit, ni dans le jour.
Ainsi cependant vous avez pu vivre cet amour de la seule façon qui puisse se faire pour vous, en la perdant avant qu'il soit advenu.
Marguerite Duras, La maladie de la mort (Minuit, 1982)