La relocalisation : l'utopie nécessaire, wendell berry : vers des économies locales durables

Publié le 20 mai 2014 par Blanchemanche

·http://relocalisation.wordpress.com/2014/05/16/wendell-berry-vers-des-economies-locales-durables/Wendell Berry démonte avec brio le fonctionnement et les mythes du système économique actuel basé sur la foi dans le libre échange et sur la compétitivité avant de décrire sa vision d’économies locales durables et propose des règles qu’une communauté devrait pouvoir suivre afin de construire et faire fonctionner de telles économies, tout en précisant le rôle que pourrait y jouer les systèmes alimentaires locaux.

Le risque d’une "économie totale"

Dans un des articles qu’il a publié, Wendell Berry utilise une approche intéressante afin de s’attaquer au système économique dominant, celui de la crise environnementale, replaçant l’individu au cœur de celle-ci : « Si les gens font l’effort de reconnaitre leur responsabilité économique comme une part de leur propre pouvoir, alors, inévitablement, ils découvriront qu’il n’existe en soi pas de crise environnementale, que ce n’est pas une crise de notre environnement, mais bien unecrise de nos vies en tant qu’individus, membres d’une famille, d’une communauté, en tant que citoyens. Nous souffrons d’une « crise environnementale » parce que nous avons consenti à une économie dans laquelle – en mangeant, buvant, travaillant, voyageant et nous amusant – nous sommes en train de détruire la nature »1(…)« donc, nous nous tromperons si nous essayons de corriger ce que l’on identifie comme des problèmes « environnementaux » sans s’attaquer à la simplification économique qui les a causé »2Celle-ci repose notamment sur un « capitalisme sentimental », un capitalisme reposant sur la foi seule. Selon l’auteur, le capitalisme repose en effet sur l’idée selon laquelle tout « ce qui est petit, local, privé, personnel, naturel, bon, beau doit être sacrifié au « libre marché » et aux entreprises parce qu’une sécurité et un bonheur sans borne, au profit du plus grand nombre, en découleront … dans le futur, bien entendu »3. C’est pourquoi « nous avons devant nous le spectacle d’une « prospérité » et d’une « croissance économique » sans précédent sur une terre de fermes, de forêts, d’écosystèmes, d’eaux dégradés, d’air pollué, de familles et de communautés en décompositions »4. Bref, pour l’auteur, ce système qui détruit tout ce qui existe de bon au nom d’un bonheur futur.Wendell Berry souligne que ce capitalisme contient plusieurs éléments préfigurant les conditions d’une « économie totale ».

« Une économie totale est une économie dans laquelle les nations, communautés, ménages, paysages et écosystèmes sont dépossédés de leurs profits. Une économie totale permet à la richesse symbolique ou artificielle de croitre en détruisant toutes les richesses de ce monde »5. (…) «  une économie totale est une économie dans laquelle tout – des formes de vies par exemple, ou le « droit de polluer » – relèvent de la propriété privée, a un prix et est à vendre »6.

Vers des économies locales durables


« D’un point de vue local, on peut voir que le l’économie de « libre marché » globale n’est possible que si les nations et les localités acceptent – ou ignorent – l’inhérente instabilité d’une production économique basée sur les exports et d’une consommation basée sur les imports. En termes d’influence politique, toute deux sont hors de portées »7.
« Si le gouvernement ne se propose pas de protéger les vies, les moyens d’existence, les libertés de son peuple, alors les gens doivent penser à se protéger eux mêmes8 » : tel est l’élément qui fonde le raisonnement de Wendell Berry. Mais comment faire pour se protéger ? Comment rendre l’économie moins « totale » ? Le seul moyen que l’auteur envisage, c’est le développement d’économies locales. Afin d’expliciter au mieux comment une communauté et une économie locale durable pourrait fonctionner, Wendell Berry suggère de suivre une série de « règles » qui s’appliquent aux localités mais également aux régions et aux nations :
  1. Pour chaque changement proposé, posez-vous toujours la question: quel en sera le résultat pour notre communauté ? Comment cela affectera-t-il notre richesse commune ?
  2. Incluez toujours l’environnement naturel local – la terre, l’eau, l’air, les êtres vivants – dans les membres de la communauté.
  3. Demandez-vous toujours comment les besoins locaux peuvent être satisfaits en priorité par des ressources locales, en incluant l’aide mutuelle des voisins.
  4. Attachez-vous toujours à subvenir aux besoins locaux d’abord (et ensuite seulement envisagez d’exporter, d’abord aux cités proches, puis à d’autres).
  5. Comprenez bien l’inadéquation de la doctrine industrielle d’économie d’échelles (économie de main d’œuvre) si cela implique un travail dans des conditions déplorables, du chômage ou toutes sortes de pollutions et contaminations.
  6. Développez des industries à valeur ajoutée aux échelles appropriés pour les produits locaux, afin d’assurer que la communauté ne devienne pas simplement une colonie dépendante de l’économie nationale ou de l’économie globale.
  7. Développez des industries et des entreprises sur une petite échelle pour soutenir l’économie paysanne et forestière locale
  8. Efforcez-vous de faire en sorte que la communauté subvienne le plus possible elle-même à ses propres besoins en énergie.
  9. Efforcez-vous d’accroître les revenus (quelle qu’en soit la forme) à l’intérieur de la communauté aussi longtemps que possible avant de rétribuer à l’extérieur.
  10. Assurez-vous que la monnaie payée dans l’économie locale circule en interne et diminue les dépenses à l’extérieur de la communauté.
  11. Permettez à la communauté d’investir dans son avenir en se maintenant et en maintenant ses ressources propres (sans polluer ni salir d’autres endroits), en prêtant attention aux personnes âgées et en apportant un enseignement aux enfants.
  12. Favorisez l’entraide entre les générations. Les jeunes doivent apprendre des plus vieux, pas nécessairement, et pas seulement à l’école. Il ne doit pas y avoir d’institutionnalisation de garde d’enfants ou de soins aux personnes âgées. La communauté se reconnaît et se forge une identité par l’association des vieux et des jeunes.
  13. Tenez une comptabilité des coûts habituellement externalisés ou cachés. Chaque fois que possible, ils doivent être déduits des revenus monétaires.
  14. Renseignez-vous sur les utilisations possibles de monnaies locales, de prêts financés par la communauté, des systèmes de troc et autres échanges.
  15. Soyez toujours attentifs à la valeur des actions de voisinage. De nos jours, le coût de la vie augmente énormément avec la perte du soutien du voisinage, ce qui laisse les personnes affronter seules les problèmes.
  16. Une communauté rurale devrait toujours communiquer et développer des relations avec des personnes à l’esprit communautaire dans les cités proches.
  17. Une économie rurale durable dépendra de la loyauté des consommateurs urbains aux produits locaux. Dès lors, il s’agit d’une économie qui sera toujours plus coopérative que compétitive9.

Systèmes alimentaires localisés : les avants-postes d’un système décentralisés d’économies locales durables


Si Wendell Berry espère que l’on aboutira progressivement à un système décentralisé d’économies locales durables, il lui parait clair que la manière la plus facile d’entamer le travail est de développer des économies alimentaires locales.

Par économies alimentaires locales, l’auteur comprend : « une économie dans laquelle les consommateurs achètent la plus grande part possible de leur alimentation auprès de producteurs locaux et dans laquelle les producteurs locaux produisent le plus possible pour le marché local »10.

Il pointe plusieurs éléments favorisant actuellement l’émergence croissante de projets voués au développement de telles économies alimentaires :
  • Les couts – en termes écologique et économique – liés à notre système alimentaire actuel (très fortement centralisé) sont voués à augmenter : cout de l’eau, du transport, des intrants, …
  • Les consommateurs dont de plus en plus inquiet de la qualité de leur alimentation et sont désireux de soutenir par leurs achats des agriculteurs « responsables » proche de chez eux. Ils sont désireux de savoir comment leur nourriture est produite et sont de plus en plus conscients des défaillances et de la vulnérabilité du système alimentaire dominant (aux catastrophes économiques, écologiques, …).
Toujours soucieux d’allier une réflexion théorique avec des recommandations « pratiques », Wendell Berry identifie également quelques pistes pour manger de façon responsable11 :
  1. Participez à la production de nourriture dans la mesure de vos possibilités. Si vous avez un jardin ou même simplement un conteneur ou même un pot sur une fenêtre ensoleillée, cultivez-y quelque chose à manger. Compostez vos déchets de cuisine et utilisez cette engrais. C’est seulement en produisant quelque chose à manger pour vous-même que vous pourrez vous familiariser avec le cycle magnifique de l’énergie qui va de la terre à la graine, à la fleur, au fruit, au déchet, à la décomposition et ainsi de suite. Vous serez pleinement responsable des aliments que vous cultivez vous-même et vous en aurez une connaissance intime. Avec la connaissance de toute la vie de ces aliments, vous les apprécierez pleinement.
  2. Cuisinez vous-même ce que vous mangez. Cela implique de raviver dans votre esprit et dans votre vie l’art de cuisiner et les arts ménagers. De cette façon, votre alimentation vous coûtera moins cher et vous donnera une part de « contrôle qualité » : vous aurez une connaissance fiable de ce qui est ajouté à ce que vous mangez.
  3. Apprenez à connaitre l’origine des aliments que vous achetez et achetez les aliments produits le plus près de chez vous. L’idée que chaque lieu devrait, autant que faire ce peut, être la source de son alimentation est censée pour plusieurs raisons. L’approvisionnement en aliments produits localement est le plus sûr, le plus frais, et celui que les consommateurs locaux peuvent le plus facilement connaitre et influencer.
  4. Quand c’est possible, entrez en relation directement avec un producteur local, agriculteur, maraîcher ou arboriculteur. Toutes les raisons citées au dessus s’appliquent également ici. De plus, ce type d’interaction élimine une série de commerçants, transporteurs, transformateurs, conditionneurs et publicitaires qui vivent au dépend des producteurs et des consommateurs
  5. Apprenez, en légitime défense, tout ce que vous pouvez sur l’économie et la technologie de la production agro-alimentaire. Qu’est-ce qu’on ajoute comme non-aliment dans les aliments et que payez-vous pour ces ajouts ?
  6. Apprenez ce qu’impliquent les meilleures pratiques agricoles.
  7. Apprenez tout ce que vous pouvez, par observation directe et par l’expérience si possible, de la vie des espèces élevées ou cultivées pour l’alimentation12.
Sources utilisées :
  • http://home2.btconnect.com/tipiglen/localecon.html
  • http://communityforge.net/de/node/680
  • http://ukiahcommunityblog.wordpress.com/contact/wendell-berrys-17-rules-for-a-sustainable-economy/
  • http://home2.btconnect.com/tipiglen/communty.html
  • http://unevalleedanslalune.ouvaton.org/2010/10/18/manger-est-un-acte-agricole/#more-154
1Traduction personnelle : If people begin the effort to take back into their own power a significant portion of their economic responsibility, then their inevitable first discovery is that the "environmental crisis" is no such thing; it is not a crisis of our environs or surroundings; it is a crisis of our lives as individuals, as family members, as community members, and as citizens. We have an "environmental crisis" because we have consented to an economy in which by eating, drinking, working, resting, traveling, and enjoying ourselves we are destroying the natural, theGod-given world.2 And so we will be wrong if we attempt to correct what we perceive as "environmental" problems without correcting the economic oversimplification that caused them.2 And so we will be wrong if we attempt to correct what we perceive as "environmental" problems without correcting the economic oversimplification that caused them.3Sentimental capitalism holds in effect that everything small, local, private, personal, natural, good, and beautiful must be sacrificed in the interest of the "free market" and the great corporations, which will bring unprecedented security and happiness to "the many" – in, of course, the future.4And so we have before us the spectacle of unprecedented "prosperity" and "economic growth" in a land of degraded farms, forests, ecosystems, and watersheds, polluted air, failing families, and perishing communities5A total economy is an unrestrained taking of profits from the disintegration of nations, communities, households, landscapes, and ecosystems. It licenses symbolic or artificial wealth to "grow" by means of the destruction of the real wealth of all the world.6These assumptions clearly prefigure a condition of total economy. A total economy is one in which everything – "life-forms," for instance, or the "right to pollute" – is "private property" and has a price and is for sale.7From a local point of view, one can see that a global "free market" economy is possible only if nations and localities accept or ignore the inherent instability of a production economy based on exports and a consumer economy based on imports. An export economy is beyond local influence, and so is an import economy.8If the government does not propose to protect the lives, livelihoods, and freedoms of its people, then the people must think about protecting themselves.9Tiréde http://communityforge.net/de/node/680 et dehttp://ukiahcommunityblog.wordpress.com/contact/wendell-berrys-17-rules-for-a-sustainable-economy/10I mean simply an economy in which local consumers buy as much of their food as possible from local producers and in which local producers produce as much as they can for the local market.11Éléments tirés de http://unevalleedanslalune.ouvaton.org/2010/10/18/manger-est-un-acte-agricole/#more-15412http://unevalleedanslalune.ouvaton.org/2010/10/18/manger-est-un-acte-agricole/#more-154