Mapplethorpe, Paris, des fleurs et des corps

Publié le 19 mai 2014 par Jsbg @JSBGblog

« Mapple -quoi? »… À l’entrée du Grand Palais, cette question auprès du personnel de sécurité rebondit et dans plusieurs langues! Tandis que les files d’attente enflent devant les deux autres expositions présentées au même endroit – Bill Viola (déjà présentée sur JSBG ici) et Moi, Auguste, empereur de Rome – l’affluence se révèle moins importante pour Robert Mapplethorpe. Après avoir survécu à la visite du Moment décisif de Cartier-Bresson au Centre Pompidou, pris d’assaut par les Parisiens et les touristes et atteignant un taux de fréquentation record (autant vous dire qu’il est pratiquement impossible d’apprécier les quelques 350 photos présentées), le calme régnant, en ce samedi d’avril, dans la première rétrospective française consacrée à Mapplethorpe (1946-1989) depuis sa mort est une bénédiction. L’exposition attire de toute évidence un public d’initiés, des fans de Patti Smith – photographiée plus de 124 fois par l’artiste – beaucoup de curieux émoustillés par la réputation sulfureuse de l’auteur et quelques visiteurs égarés ou découragés par la foule qui se presse dans les autres espaces de l’institution parisienne.

Conçue à rebours, l’exposition s’ouvre sur l’un des derniers autoportraits du maître. De l’obscurité émergent son visage et sa main tenant une canne, surmontée d’un crâne. Au moment de la prise de vue en 1988, l’ange newyorkais n’est déjà plus qu’une ombre. Traits émaciés, amaigri, la maladie l’emportera en mars de l’année suivante. Scénographie intéressante qu’est celle imaginée par les commissaires de l’exposition (desquels Judith Benhamou-Huet dont il faut absolument lire le récent ouvrage et si possible, avant de visiter la rétrospective) et qui permet de se connecter au travail de Mapplethorpe par les images les plus abouties et les plus sculpturales de son parcours artistique. Les plus académiques et consensuelles diront certains. Des détails anatomiques, des visages, des sexes… et des fleurs. Il le disait lui-même, s’il avait vécu cent à deux cent plus tôt, il aurait été sculpteur. Il préféra la rapidité de l’appareil aux éprouvants coups de ciseaux dans un certain New-York bouillonnant des années 1970 et 1980. C’est d’ailleurs par l’immédiateté du polaroid que Mapplethorpe entre dans le monde de l’image avec, déjà, les mêmes thèmes de prédilection. Au gré du temps, il façonne ses sujets par la technique qu’il apprend, le souci de la lumière et de la matière dirigeant son travail. Pas de spontanéité ni de hasard, l’artiste construit ses images avec une rigueur extraordinaire. La matière… Formé dans le prestigieux institut Pratt et véritable plasticien, il concentre son attention sur les textures de ses sujets et use de la lumière pour les idéaliser. Sexe, fleur, aisselle, calvitie, à la quête de la forme parfaite, il n’y a pas de gradation dans l’importance qu’il accorde à ce qu’il photographie. Parmi les sujets privilégiés à ce moment, Lisa Lyon, première championne du monde de bodybuilding qui évoque, aux yeux de l’artiste, les modèles de Michel-Ange. Mapplethorpe l’immortalise plus de 180 fois. Et faisant échos aux corps, il y a les images de fleurs. Phalliques, délicates, sculpturales également, elles dialoguent avec l’anatomie humaine par leurs lignes, leurs veines, leurs torsions. Roland Barthe évoquait à juste titre le « kaïros du désir » (La Chambre claire, 1980) pour définir ces photographies.

Cette constante présence du modelage dans l’œuvre de Mapplethorpe, qui fait essentiellement usage du noir et blanc, entre en résonnance avec les sculptures de Rodin. C’est la seconde exposition parisienne consacrée au photographe cette année (la plus marquante sans hésiter), présentée dans un autre cadre d’exception, le Musée Rodin. Mises en regard, les sculptures et les photographies dialoguent autour de sept thématiques parmi lesquelles l’érotisme, le goût du détail ou le drapé. Loin des débats concernant sa sexualité, ses obsessions, son obscure poésie et au-delà des connotations provocatrices que Mapplethorpe donnait à ses images, l’exposition du Musée Rodin met en lumière l’esprit ardu et discipliné avec lequel le photographe évolue artistiquement pour aboutir à une composition où le superflu n’a pas sa place, les sujets touchant parfois presque à l’abstraction.

Pour mieux saisir l’oeuvre du photographe, il faut avancer davantage au gré de la rétrospective. Traverser l’espace consacré à l’usage des symboles religieux qu’il mettait en scène de manière provocante, lui, l’enfant issue d’une famille catholique pratiquante qui passa les dimanches de sa jeunesse sur les bancs d’une église. Puis rencontrer les visages qu’il a immortalisés en commençant par Patti Smith, sa muse du premier jour. « Nobody sees like we do » lui dit-il dès leur rencontre. Avec elle, il passe des installations et des collages d’images anonymes à la photographie, prenant conscience que ce médium peut être une forme d’art excitante. Et immédiate. Grâce au polaroid et Patti en guise de modèle, Mapplethorpe exécute ses premiers portraits. En 1975, il acquiert un Hasselblad et réalise la désormais célèbre pochette de l’album Horses de son âme sœur, avant d’immortaliser le tout New-york. Attiré par la scène gay et les clubs underground, Mapplethorpe, dont la question du corps habite l’ensemble de l’œuvre, se lance également dans un travail photographique érotique, parfois cru. Des corps attachés, châtiés, du cuir, des chaines et un fouet qu’il met audacieusement en scène dans l’un de ses plus célèbres autoportrait. Pudiquement, le Grand Palais a choisi de tenir à l’écart de tous les regards les images X du photographe, gardien à l’entrée et accès refusé aux moins de 18 ans. Pudeur ou crainte de la censure ? Les deux certainement. Le rythme de la visite se voit soudainement interrompu par cette parenthèse alors que la pornographie est au cœur de l’œuvre de Mapplethorpe. Si les sexes maniérés sont affichés en ouverture d’exposition, ceux qui présentent une réalité plus crue mais non moins esthétique, trouvent place derrière un rideau noir. Paradoxe de notre société, on n’ose montrer ce qu’on exposait dans les années 1970…

La rétrospective s’achève. Une paroi couverte des premiers polaroids salue le visiteur. Les thèmes parcourus dans l’exposition y sont déjà bien présents, la boucle est bouclée. Si vous séjournez à Paris, courez au Grand Palais avant le 13 juillet et au Musée Rodin avant le 21 septembre. Et si vous êtes de ceux qui auraient, à l’entrée, spontanément posé la question « Mapple-quoi ? », la découverte de cet artiste qui a marqué l’histoire de la photographie du XXe siècle ne vous laissera absolument pas indifférent.

Virginie GalbariniCultissime.ch

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Informations pratiques:

MAPPLETHORPE RODIN

du 8 avril au 21 septembre 2014

Musée Rodin

19, Boulevard des Invalides, 75007 Paris

www.musee-rodin.fr

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ROBERT MAPPLETHORPE

du 26 mars au 13 juillet

Grand Palais (Galerie sud-est)

3, Avenue du Général Eisenhower, 75008 Paris

www.grandpalais.fr

Les deux expositions ont été élaborées en collaboration avec The Robert Mapplethorpe Foundation : www.mapplethorpe.org

Photo 1: Robert Mapplethorpe, Calla Lily, 1986, 92,7 x 92,7 cm, Épreuve gelatino-argentique, New York, Solomon R. Guggenheim Museum, Don de la Fondation Robert Mapplethorpe en 1997, © Robert Mapplethorpe Foundation. Used by permission

Photo 2: Robert Mapplethorpe, White Gauze, 1984, © 2014 Robert Mapplethorpe Foundation, Inc. All rights reserved — Auguste Rodin, Torse de l’Âge d’airain drapé, vers 1895, plâtre, 78 x 49,5 x 31 cm © musée Rodin, ph. C. Baraja

Photo 3: Robert Mapplethorpe, Lisa Lyon, 1982, 50,8 x 40,6 cm, Épreuve gelatino-argentique, New York, Solomon R. Guggenheim Museum, don de la Fondation Robert Mapplethorpe en 1993, © Robert Mapplethorpe Foundation. Used by permission