Magazine Culture
Jean Christophe Rufin, Le grand Coeur, 2012.
La dame de la billetterie, d'un air dédaigneux :
"Oui... c'est un bon roman... Rufin écrit bien..."
Me serais-je trop emballée ? Et puis non ! A bien y réfléchir, ce n'est pas du superflu ! Le grand Coeur n'est pas "un bon roman". C'est une biographie ultra documentée ; romancée, certes, mais historiquement assez pointilleuse. D'ailleurs, après vérification sur le site des Amis de Jacques Coeur, Rufin n'a pris des libertés qu'à l'intérieur des zones d'ombres de la vie du célèbre argentier de Charles VII, en particulier les derniers jours de son existence, juste avant sa mort sur l'île grecque de Chio, ainsi qu'en ce qui concerne la véritable teneur de sa relation avec Agnès Sorel, la favorite du roi. Pour ce qui ne relève pas du mystère mais de l'Histoire, Rufin a tracé un portrait tout à fait réaliste. Quant à l'écriture... "Bien écrit" est un terme bien méprisant pour qualifier un livre de cette qualité, un ouvrage dans lequel l'auteur met énormément de lui-même. Il n'y a qu'à relire les passages où Rufin décrit la ville de Bourges, de laquelle il est originaire, pour comprendre que quelque chose se joue au-delà des mots, de l'ordre de l'affectif, de l'histoire personnelle. Il le confie, il est probable que dans son caractère, sa manière d'affronter l'adversité et les réussites, son personnage ait autant de Jacques Coeur que de son biographe. Faute avouée complètement pardonnée, parce que Rufin nous amène par là à saisir toute l'admiration qu'il voue à ce grand homme, ce commerçant, cet entrepreneur avant l'heure, qui a doté Bourges d'un palais si majestueux. Nous sommes plongés dans une époque lointaine : la fin de la Guerre de Cent Ans, les années charnières qui séparent le Moyen Age de la Renaissance. Mais le pari de redonner vie à Jacques Coeur, de lui conférer une personnalité, de lui faire battre le pouls au rythme de ses voyages vers l'Orient, de ses rencontres avec Charles VII, des affres de son emprisonnement, ce pari est réussi. Haut la main. Si bien que sitôt la dernière page tournée, on n'a qu'une envie : revenir au début et recommencer, se replonger dans cette vitalité qui nous est offerte tout au long du livre, repartir cheminer aux côtés de Jacques Coeur, à Florence, à Rome, à Marseille, à Damas, remettre nos pas dans les siens et revisiter Bourges avec ses yeux.