D'accord, peu de rapport direct avec la littérature. Mais, puisque les 20 kilomètres de Bruxelles célèbrent aujourd'hui leur 35e anniversaire, voici comment j'avais vécu l'édition de 1994... (Et, non, vous n'aurez pas de photo de moi sur la ligne de départ.)
Les vedettes des 20 km de Bruxelles ont bien de la chance. Elles n'ont à gérer que la pression, comme disent les sportifs. Ici, au milieu du peloton, il faut gérer un nombre incroyable de choses: le manque d'entraînement, les kilos de trop, les forces de plus en plus faibles, la consommation d'eau, les kilomètres de plus en plus longs - d'ailleurs, les vedettes courent des kilomètres beaucoup plus courts que les nôtres. Sans cela, je ne vois pas pourquoi elles iraient si vite. Ou alors, mes notions d'arithmétique ont souffert pendant la course.
Enfin, je dis la course, c'est une façon de parler. Parce qu'après les trois bosses casse-pattes de l'avenue Louise, l'euphorie des premiers kilomètres n'est déjà plus qu'un lointain souvenir. Certes, il y a eu des bons moments, comme pour compenser la difficulté à être au milieu du peloton plutôt que devant. Quand un long cri monte dans la rue de la Loi - qui, pure coïncidence, à moins que ne ce soit un avertissement de la part des organisateurs, monte elle aussi à ce moment. Quand les traditionnels claquements de mains emplissent les tunnels - surtout le premier, l'enthousiasme retombant à mesure que les jambes s'alourdissent.
Bon, autant l'avouer, j'ai failli raconter ici «mes 6 km de Bruxelles», parce qu'au moment d'entrer dans le Bois de la Cambre, j'ai surtout envie de rentrer chez moi. Et puis, après cent mètres de promenade, je me dis que c'est stupide, qu'il faut continuer. Retour à la case départ - pas tout à fait, puisque presque un tiers de la distance a déjà été couvert - et on oublie les envies d'abandon pour s'enfoncer dans la tête l'image des arcades du Cinquantenaire. Encore un effort, camarade! Reste qu'il faut gérer, en même temps que tout le reste, un changement d'objectif: en marchant de temps en temps pour récupérer quand la fatigue est trop vive, il ne faut plus penser au chrono dont je rêvais. Tant pis, on verra bien. Après tout, il suffit d'avancer, l'arrivée ne peut que se rapprocher.
Un peu à la fois, je reconnais certains coureurs, qui me dépassent quand je marche, que je rattrape quand je cours. Allons, puisqu'ils ne vont pas plus vite que moi en moyenne, on s'offre un sursaut d'orgueil? Bref, très bref, le sursaut. Voilà au moins une chose qu'il ne faudra plus gérer.
Enfin, voici l'avenue de Tervueren. Ça monte, c'est dur, mais comme c'est bientôt la fin, on l'accepte plus facilement. D'ailleurs, j'ai renoncé à gérer ma place dans le peloton: celles et ceux qui veulent me dépasser n'ont qu'à le faire, je n'essaierai pas de les en empêcher. Car voilà qu'arrive, pour moi seul, un souffle de vrai bonheur égoïste: les cinq secondes que prend le passage de la ligne d'arrivée, avec l'enregistrement de la carte magnétique qui fixe le temps. Et, déjà, dans la tête, un objectif qui se dessine pour l'année prochaine...