Vernissage mercredi 21 mai à 19:00. Exposition du 19 mai au 5 juillet
Le peintre s’est employé à bien fixer les couleurs de ses tableaux. Étrangement figées, elles font songer à des sauces refroidies. Aucune émotion ne les soulève plus. Elles sont inertes. Pourtant, tout est à sa place, tout est bienrangé. Et ce n’est pas par faute d’habileté du peintre que nous éprouvons cette impression. Tout est parfait mais aussi rien ne l’est. Comme dans ces demeures où aucun objet ne traîne – pas un livre oublié sur une table, pas un vêtement jeté sur le dossier d’une chaise – dont on se demande si elles sont habitées. Que manque-t-il à ces toiles ?
Il leur manque d’être en activité. Dans les peintures de Michel Joulé, au contraire, chaque tache de couleur conserve le souvenir de sa naissance. Chacune d’entre elles a abandonné derrière elle, comme une comète, une sorte de traîne, dont elle est issue et qui signale son origine : elle laisse des traces. Chaque couleur, en somme, – le bleu, le jaune, le noir, le rouge – a une histoire. Voilà un peintre pour qui la peinture n’est pas un résultat mais un processus et qui nous raconte l’apparition de celle-ci sur la toile. L’immobilité qui menace chaque fond, pourtant varié, est conjurée par des giclures, des éclaboussures, des coulées, des frottements, bref par toute une vie imprévisible. Gicler, éclabousser, couler, frotter : autant de verbes qui expriment le mouvement. C’est qu’en effet il n’est guère possible de regarder une peinture de Michel Joulé en s’empêchant de remonter aux gestes qu’il lui a fallu accomplir pour la réaliser. On l’imagine travaillant vite, à la manière des peintres et calligraphes chinois, dont la légende rapporte que, l’Empereur leur demande-t-il de représenter une tortue, ils tardent tant à livrer leur commande, que ce dernier s’impatiente : c’est qu’il leur faut bien sept ans pour, à force d’exercices et de méditations, commencer à se sentir prêts.
Ils attendraient volontiers encore un peu, mais l’Empereur du Céleste Empire menace de les condamner à mort, en sorte qu’ils s’exécutent : quelques secondes leur suffit alors, et voilà la tortue faite, et aucune écaille n’a été oubliée, et elle est magnifique, et on la voit même sortir la tête de sa carapace, et avancer. Michel Joulé ne représente pas de tortues qui symbolisent le monde, on le sait, dans la tradition chinoise. Au reste, il ne représente rien.
Mais sa peinture bouge. Elle est vivante.
Gérard FARASSE