![Zygomatique(s): malaise autour d'un film à succès Zygomatique(s): malaise autour d'un film à succès](http://media.paperblog.fr/i/714/7141102/zygomatiques-malaise-dun-film-succes-L-Dofo0n.png)
La comédie réalisée par Philippe de Chauveron pose un principe: amusons-nous des préjugés racistes des uns et des autres, histoire de mieux les dénoncer en les renvoyant dos à dos. Le réalisateur va même plus loin, affirmant que «les enfants d’immigrés souffrent de ne pas être reconnus comme Français et que les Français de souche souffrent qu’on les prenne pour des racistes». Deux questions devraient donc s’imposer à tous. Première question, importante, vous le comprendrez: le procédé utilisé est-il une manière efficace de lutter contre les clichés? Notre réponse sera sincère: oui, plutôt, car de ce film, roublard et huilé comme les meilleures prestations de stand-up, surgit une forme d’optimisme qui laisse accroire que, décidément, dans cette République de l’assimilation et de la compréhension de la différence, rien ne se disloque jamais et que tout s’invente à la mesure du vivre-ensemble. Hélas, la seconde question s’avère plus importante encore: ce genre de mécanique filmée entièrement tournée vers le grand public (ne lisez aucun mépris dans cette expression, bien au contraire) ne risque-t-elle pas, en revanche, de banaliser la parole raciste et xénophobe, dans la mesure où elle suscite amusement et pensées décomplexées?
Marseillaise. Car tout de même. Que reste-t-il après l’exercice des zygomatiques quand tout se termine forcément bien dans le meilleur des mondes (c’est du cinéma avec happy end) et que le poids des communautarismes s’est effacé derrière les mariages mixtes et la réussite de tous? Une impression de malaise, qui, vous ferez l’expérience, grandira de jour en jour après le visionnage. Le message caché vous sautera même aux yeux comme une évidence et vous aurez alors presque honte d’avoir participé à une orgie collective digne d’Hortefeux et de Besson, en accréditant l’idée, à votre corps défendant, que l’immigration n’est pas un problème à condition qu’elle soit choisie et forcément issue des milieux sociaux favorisés, ce qui est le cas, vous l’avez deviné, de tous les personnages principaux de ce long-métrage. Une scène pousse d’ailleurs la logique jusqu’aux extrêmes. Trois des futurs gendres (l’Arabe, le juif et le Chinois) entonnent la Marseillaise avec leur beau-père, dans le fumoir feutré d’un château de Touraine. Ils sont là, tous à l’unisson, et l’hymne ne devient plus seulement la bande-son promotionnelle d’un film qui cachetonne mais bien l’acte fondateur du devenir français, marque nostalgique d’une nation fantasmée, post-nicoléonienne et identitaire. Se moquer de tout est parfois une bonne nouvelle. Ou pas.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 16 mai 2014.]