UN LÂCHE (d'après Maupassant)
Le vicomte Gontran de Vidame
Plaisait aux femmes.
Il se battait à l’épée
Et tirait au pistolet.
Il avait de l’allure et du tempérament.
Un jour, il déjeunait au restaurant
Avec une de ses amies, Jeanne Cassin.
Celle-ci s’aperçut qu’un voisin
La regardait avec obstination :
-« Un homme me dévisage, Gontran.
Il a sûrement une mauvaise intention.
C’est fort contrariant. »
Le vicomte se leva et alla gifler l’importun :
-« Votre carte, monsieur, s’il vous plait ! »
-« Fichez-moi la paix. »
-« Nous règlerons demain matin
Cette affaire sur le pré. »
Gontran se sentant prêt
Pour le duel
Prit par le bras son amie,
La raccompagna chez elle
Et rentra chez lui.
‘‘J’ai jusqu’à ce soir
Pour m’occuper de cette affaire.’’
Ayant
Cependant
La bouche desséchée, il alla boire.
‘’ Je suis brave, que diable ! Du nerf !
Si je me montre ferme, il aura peur.
Moi, ai-je peur ? ‘’
Si sa volonté semblait arrêtée,
Son cœur battait.
Il demeurait oppressé
Et pensait :
‘’Pourquoi trembler ? ‘’
Mais il se sentait de plus en plus troublé.
Avait-il peur malgré lui ?
Ce doute l’envahit.
Qu’arrivera-t-il ? Il se sentait pâlir.
Il songea à sa situation
À son nom, à sa réputation :
‘’Demain, peut-être,…je vais mourir ! ‘’
Il passa dans son fumoir,
Alluma nerveusement un cigare.
Il avait froid. Il fit du feu.
Ses mains tremblaient un peu.
Sa tête s’égarait.
Tout son corps vibrait
De tressaillements saccadés.
Sans cesse il se demandait :
‘’Que vais-je faire ? Que vais-je devenir ?’’
Un espoir pourtant se mit à l’envahir.
Il était fou de se laisser
Par la crainte ainsi terrasser.
Alors il partit discuter des conditions
Avec ses témoins, le marquis de Mossion,
Et le colonel Rieux,
L’un grand seigneur, l’autre, brave soldat.
Mossion lui demanda :
-« Vous voulez un duel sérieux ? »
-« Oui. »
-« Et vous tenez au pistolet ? »
-« Oui. »
-« Le reste, comment voulez-vous le régler ? »
Le vicomte articula :
-« Bon. Vingt pas.
Tir jusqu’à blessure sérieuse.
Comme je suis adroit au pistolet
Cette mesure me semble avantageuse. »
Sur ces mots, le vicomte retourna chez lui.
Mais il n’arrivait ni à rester assis
Ni à tenir debout tant il était agité.
Il voulut cependant
Rédiger son testament.
Mais il se sentit incapable
D’unir deux idées convenables.
Puis, il ouvrit sa boite de Gastine-Renette,
Y prit un pistolet mais il tremblait
Des pieds à la tête.
Il se mit à penser :
‘’Je ne puis
Me battre ainsi.’’
Il songea de nouveau à l’infamie,
Aux chuchotements dans la société,
Aux rires de ses amis
Au mépris dans son foyer.
Il le sentait ; il le savait.
Alors il enfonça le canon du pistolet
Dans sa gorge et appuya sur la détente.
Il fut trouvé mort par sa servante.