Les sondages se suivent et se ressemblent pour le FN qui pourrait bien devenir à l’issue des Européennes le premier parti de France. Un score massif quand on songe que le FN n’avait pas atteint les 7% aux dernières élections européennes de 2009.
5 ans plus tard, les partis offrent au FN un boulevard, permettant à ce dernier de revendiquer la posture du « double non. »
Le « non » à l’Europe quand l’UMP et le PS se contorsionnent, ballotés par des courants contraires entre européens convaincus et eurosceptiques.
Et le « non » à la politique de François Hollande, incarné par la figure de Marine Le Pen qui ne renonce devant aucune outrance pour s’imposer désormais aux yeux des Français comme principale opposante à François Hollande. Or cette élection Européenne n’aura jamais autant été autant otage de la politique nationale. Battant très probablement le record d’abstention pourtant établi à 61% en 2009, ce scrutin sera en effet marqué par une cristallisation sur les enjeux nationaux. 39% des électeurs selon CSA, vont se saisir des Européennes pour marque leur insatisfaction par rapport à François Hollande. En 2009, le chiffre n’était que de 23%.
Le parti d’extrême droite incarne donc deux courants ultra majoritaires en France : les anti -Hollande et les anti-Europe. Le FN bénéficie d’un champ laissé libre suite au départ de Philippe de Villiers, ainsi que d’une institutionnalisation de l’UMP, qui libérée pourtant de ses obligations gouvernementales peine à répondre aux inquiétudes de son camp.
La France de Maastricht était scindée en deux. Celle de 2014 a basculé dans l’Europhobie : 17% des Français souhaitent plus d’Europe. 52% des Français souhaitent moins d’Europe. Derrière les chiffres, ce sont deux clans qui se font face. D’un côté une France des classes aisées, intégrée, diplômée qui continue de soutenir l’Europe, et de l’autre côté celle des catégories populaires, des ouvriers, des classes moyennes, des entrepreneurs, qui voit dans l’Europe une double menace économique et culturelle.
Cette France des perdants de l’Europe pose un regard critique envers une institution qui aurait rompu avec son peuple et son dessein initial.
L’Europe, quels bénéfices ?
L’Europe a longtemps vécu sur une promesse inestimable, celle de la paix pour un continent adepte des guerres fratricides. Mais aujourd’hui, alors que la paix apparaît, probablement à tort, comme un acquis quel bénéfice essentiel et motivant pourrait redonner une seconde jeunesse au projet européen ?
Revenir à la Genèse du projet Européen, ce n’est pas tant évoquer comme un mantra l’exigence d’union que réactualiser ce combat pour la paix à l’aune des défis d’aujourd’hui. Ils sont évidents : l’emploi et la croissance. Or, cette double bataille qui obsède chaque européen depuis 30 ans constitue précisément le point noir de l’Europe.
L’institut Harris Interactive a demandé aux Français de juger l’efficacité de l’Union Européenne en attribuant une note entre 0 et 20 : sur la croissance, la note est de 5,6. Sur l’emploi, la note est de 5.
De même 70% des Français craignent qu’avec la construction Européenne, il y ait davantage de chômage en France : pour nos concitoyens, l’Europe a trahi en jouant contre les intérêts de la France.
L’Europe serait-elle forcément libérale ?
A cette critique d’inefficacité qui affecte l’essence même de l’Europe, se double celle de l’idéologie européenne qui a dans un même mouvement initiée coopération intra-européenne d’une part et libre-échange à l’extérieur de l’Europe d’autre part, laissant entendre que le projet Européen se devait d’être forcément libéral.
Pour les Français, la cause est entendue : l’Europe appartient à ce même mouvement de globalisation qu’ils rejettent. L’Union Européenne incarne le libéralisme économique et l’insécurité culturelle qu’ils redoutent. Le cocktail européen selon les Français : perte du modèle social, augmentation du nombre d’immigrés et dilution de la culture Française.
Logiquement, face à une mondialisation combattue et une Europe qui apparaît comme son bras armé, les Français prônent le repli. Interrogés par ipsos , sur les moyens de faire face efficacement aux grands problèmes à venir, 70% des sondés considèrent qu’il faut renforcer le pouvoir de décision de notre pays même si cela doit conduire à limiter ceux de l’Europe.
Alors que le fossé ne cesse de grandir entre l’Europe et son peuple, l’erreur tragique serait d’invoquer le devoir moral, de combattre l’euro bashing par une injonction du raisonnable. Car, pour les Français, c’est précisément la raison qui dicte la défiance face à une Europe qui s’apparente à une boite noire pensée au seul bénéfice des plus intégrés.
Cette boite noire, les Français veulent la dompter. Quelle que soit leur tendance politique, ils le répètent dans les enquêtes : il est impensable qu’une institution aussi lointaine s’immisce autant dans le quotidien des concitoyens. Reprendre le contrôle sur l’Europe c’est donc redonner toute sa place au principe de subsidiarité tout autant qu’infléchir une politique européenne qu’ils veulent régulée et protectrice.
Pour les dirigeants, la voie de passage est mince: démontrer aux Français que l’Europe est paradoxalement le meilleur moyen de se protéger des déferlantes asiatiques, de maintenir un modèle européen économique et culturel face aux rouleaux compresseurs des BRIC qui ne feront qu’une bouchée de l’exception française.
Les déclarations d’intention ne suffiront pas. Et la chape de plomb entourant les négociations actuelles du traité transatlantique avec les Etats-Unis, qui va pourtant régir les droits de douane, mais plus largement la consommation de chaque citoyen européen , n’incite guère à l’optimisme.