Tranches de vie ordinaires en République Démocratique (et Populaire) Française, imaginées mais pas dénuées de réalité – Épisode 15 : « Le permis Inter-pas-net. »
Par h16 et Baptiste Créteur.
Les membres solidement attachés à un parpaing, des millions de Français entrent de plain-pied dans un monde nouveau que certains ont fantasmé et que tant d’autres ont redouté, où la technologie, sous l’œil bienveillant de l’État, simplifie notre quotidien (parfois à coup de pelle dans la nuque).
Cet œil bienveillant nous scrute : il scrute nos transactions bancaires et notre épargne, nos e-mails et messages personnels, nos photos et nos (lol)chats, nos forums et nos blogs. La finance était sans visage ; l’État lui en a trouvé un. Il connaît intimement les citoyens, même sans reproche. Et désormais, avant de nous laisser seuls dans le grand bain au milieu des caméras tels une Loana jadis dans la piscine, l’État va nous apprendre Internet et nous y encadrer finement. Pour cela, il va nous faire passer un Permis Internet.
Le Permis Internet est né dans le cerveau turbulent d’un jeune conseiller ministériel aux mains oisives et aux pulsions d’asservissement mal contrôlées. Selon lui, pour lutter contre la cybercriminalité, les pédonazis et les amateurs de porno amateur, quoi de mieux qu’un permis ? Dans l’histoire de l’État, rarement invention avait autant renversé la vapeur. Avant lui, l’action était possible par défaut et l’État parfois interdisait ; il était méchant. Depuis, l’action est habituellement interdite et l’État parfois autorise ; il est donc gentil. Mieux : il devient nécessaire puisque sans lui, qui donnera les autorisations ?
Construire une maison sur un terrain qui vous appartient ? On verra. Servir de l’alcool à des majeurs avertis ? Pas sans licence, mon gars. Conduire une voiture ? Oh oh, vous n’y pensez pas ! De la viande que nous pourrions aussi servir à nos alliés ? Il faut un ticket. Quoi de mieux, dès lors, qu’un permis pour l’usage d’Internet ? Comme le dirait n’importe quel politicien avide de régulation,
♫ Internet, c’est un espace de liberté, mais c’est aussi un espace de danger ♫ …
Et pour avancer en politique, c’est bien comme espace de danger qu’on va le présenter. Ça tombe bien : les enfants et adolescents ne sont pas en sécurité sur Internet. Notez que les personnes âgées non plus, mais la gérontophilie est un sujet nettement moins porteur. L’enfant est innocent et représente l’avenir, que voulez-vous. C’est petit, c’est mignon, c’est bankable sur le plan médiatique.
Et c’est donc à l’école qu’aura lieu l’endoctrinement l’apprentissage de l’Internet Citoyen, ce lieu de vivre-ensemble virtuel. Car rien de tel que l’école, citoyenne, républicaine (et souvent festive, d’ailleurs) pour habituer les enfants à l’idée qu’ils ont besoin d’une autorisation pour faire quoi que ce soit. Le maître d’école peut refuser à l’enfant d’aller aux toilettes, l’État peut refuser qu’on conduise une voiture, pourquoi pas refuser qu’on pilote sa souris sur les intertubes sans foi ni loi ? Il y avait déjà la sécurité routière à l’école, avec un Brevet de Sécurité Routière, maintenant il y aura désormais le permis Internet.
Après quelques séances de brainstorming, le cabinet tout entier parvient à un accord sur le nom. Loin devant « Perminator » et « DerPermis », c’est le « Permiternet » qui suscite le plus grand enthousiasme. Avec le Permiternet, une nouvelle ère s’annonce ! Fini le casse-tête de trouver les bons relais presse pour limiter la visibilité des critiques de l’IVG. Finies les manœuvres complexes pour faire disparaître le phishing, les pédophiles, les intégristes et les pédonéo-nazis (parfois même turbo-libéraux). En créant un permis pour un web citoyen, tout est réglé. Les dangers d’une information libre et non contrôlée sont maîtrisés, puisqu’il n’y a plus d’information folle non contrôlée !
Bien sûr, il faut ensuite trouver un promoteur au permis Internet. Pour cela, rien de tel que les réseaux, pas numériques mais d’influence : quelqu’un dans un ministère connaît un copain quelque part dans une compagnie d’assurances et hop ! Voilà Axa dans les écoles délivrant aux futurs citoyens leur « Permiternet ». Tout le monde y gagne !
♥ Les enfants découvrent l’Internet fiable et les sites d’information de l’État.
♥ Les parents découvrent les offres « Protection Internet » d’Axa dans le petit fascicule (aussi présent en PDF sur la clé USB offerte aux parents).
♥ Les ministres mettent en place une action rassurante pour les parents, résolument tournée vers le numérique.
♥ Le collectivisme avance en faisant de petits bonds joyeux, renforçant l’idée qu’il faut une autorisation et un permis pour tout.
Tout le monde y gagne, sauf Kevin, 12 ans, élève de CM2. Jugé par ses professeurs comme un élève « à potentiel mais dissipé », Kevin serait plutôt considéré par les spécialistes comme un grand surdoué.
Kevin connait très bien Internet et ses dangers. Il n’a jamais trouvé nécessaire la présence d’un adulte pour utiliser un ordinateur, surtout si un filtre parental le protège des sites malveillants ou impropres à son jeune âge. Il a, seul, beaucoup appris en ligne : entre cours gratuits en ligne et films documentaires, Kevin, entre deux lolcats trop mignons et des hamsters rigolos, utilise Internet pour échanger conseils et astuces avec ses amis en ligne, qui, hasard ou lucidité, peu importe, ne sont pas des pédonazis. Mieux : sans en avoir parlé à ses parents, qui, de toute façon, sont un peu largués par ces questions, Kevin apprend seul à programmer et coder, et rêve même de créer des jeux vidéos.
Non, il n’a pas vraiment le profil le plus adapté à l’École Égalitaire Et Républicaine. Et aujourd’hui, son inadaptation culmine avec un cuisant échec : Kevin est recalé au Permiternet. Il est et restera jusqu’à la fin de l’année la risée de la cour d’école et le paria du préau, un noob de première catégorie, owned par le Permiternet, pwned par l’EdNat, NoScope360 de Benoît Hamon et SpawnKill de Vincent Peillon. La grosse te-hon.
Mais ce qu’il ne sait pas encore, c’est que dans quelques années, il aura l’occasion de mettre tout cela derrière lui. En effet, le frétillant conseiller ministériel à l’origine du Permiternet sera alors une étoile montante de la politique française. Beau parleur et pipotron de combat, il sera présenté comme l’inventeur d’un permis qui sera plébiscité, et il en profitera pour devenir le promoteur de deux nouveaux permis : le permis pour les Caddies de supermarché et le permis de conduire « vélo ».
Car il faut le rappeler :
♫ Si les ailes de supermarché et les pistes cyclables sont, certes, un espace de liberté, ils sont aussi et surtout un espace de dangers ♫ …
Jean-Philippe (dit Bronx) Espoir recevra alors une lettre du jeune adulte Kevin, lui racontant en détail son histoire et justifiant ses choix de réponse au test. Puis une autre quelques jours plus tard. Puis des tas d’autres, toutes laissées sans réponse comme la première. Jusqu’au jour où le leader politique recevra aussi dans l’enveloppe des photos compromettantes et documents confidentiels retrouvées par Kevin en piratant son disque dur. Pour mettre fin au harcèlement et préserver sa carrière politique — les photos le montrent en compagnie d’autres hommes politiques et de nombreuses mineures et les documents l’impliquent directement dans de nombreuses affaires criminelles — il enverra à Kevin un joli Permiternet signé de sa main.
De frustration, Kevin était devenu un cybercriminel, utilisant ses talents pour voler leurs données personnelles à des citoyens pas tous innocents. La première de ses victimes fut cette intervenante d’Axa qui organisait les formations au Permiternet. Kevin placarda discrètement le préau de photos de ses dernières soirées — pas du tout certifiées Web Citoyen…
Quitte à ne pas avoir le permis, autant être un pirate.
Vous vous reconnaissez dans cette histoire ? Vous pensez qu’elle ressemble à des douzaines de cas relatés par la presse ? Vous lui trouvez une résonance particulière dans votre vie ? N’hésitez pas à en faire part dans les commentaires ci-dessous !
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