La Suisse va-t-elle perdre la guerre des talents ?

Publié le 15 mai 2014 par David Talerman

Avec son initiative contre l’immigration de masse votée en février dernier, visant à réduire  le nombre d’étrangers travaillant en Suisse avec une mise en oeuvre de la loi dans un délai de 3 ans, le pays a transmis aux travailleurs étrangers du monde entier un message qui n’est pas exactement ce qu’on pourrait qualifier de message de bienvenue. Même si tout réside dans la manière dont sera mise en oeuvre la loi (ce à quoi travaillent actuellement le Conseil fédéral et les parlementaires), le mal est malheureusement fait, du moins en termes d’images.

La Suisse a besoin, comme tout pays développé dont l’économie s’appuie sur l’innovation, de talents. Ils sont indispensables, et sont déjà aujourd’hui difficiles à trouver (aussi bien les PME que les grandes entreprises suisses n’arrivent pas à recruter ces profils). Demain, ce sera probablement plus difficile, et c’est un problème important pour l’économie suisse.

Une votation perçue négativement par les talents

Les travailleurs étrangers spécialisés et qualifiés, ceux qui ont précisément la possibilité de trouver un emploi un peu partout dans le monde, tant le métier qu’ils exercent est sous tension, se sentent aussi dans le viseur de la nouvelle loi. Ces professionnels, en général bien informés, ont perçu et perçoivent la votation de manière plutôt négative. Certains, et notamment ceux qui ne connaissent pas très bien le contexte, n’ont retenu qu’une chose : la Suisse est un pays qui ne veut plus d’étrangers. De fait, certains de ces travailleurs m’ont clairement dit qu’ils allaient faire disparaître la Suisse de leur « radar », et se concentrer vers des pays plus « accueillants ».

Pour d’autres, c’est une incertitude en termes de recrutement qu’ils ne veulent pas forcément assumer, dans la mesure où ils n’ont pas de grandes difficulté à trouver un emploi. L’un d’entre-eux m’a dit une chose assez claire à ce sujet :

« Dans mon métier, les entreprises ne se valent pas toutes en termes d’intérêt mais elles savent qu’elles doivent nous proposer des conditions intéressantes (et je ne parle pas que des conditions financières, mais d’un ensemble, et particulièrement l’intérêt du job). Du coup, quand une entreprise à Londres ou à Singapour me dit « ok » c’est tout bon, on est en d’accord pour vous recruter à telle et telle condition », je sais que si j’accepte ce sera du sûr. Visiblement, avec la nouvelle loi, même si une entreprise suisse veut me recruter, je ne suis pas certain d’avoir le job si on ne m’accorde pas le permis. Alors je ne prendrai pas le risque de perdre une autre opportunité, sauf si c’est précisément une entreprise qui m’intéresse vraiment. »

Les PME suisses risquent bien d’être les perdantes de la nouvelle loi

Avec la nouvelle loi, on s’achemine probablement vers des recrutement d’étrangers plus concentrés vers les grosses structures qu’actuellement : en effet, la plupart des PME n’auront pas les ressources ou la patience de faire les démarches pour recruter les étrangers. Quand on sait que le tissu  de PME en Suisse est particulièrement dynamique, il est très probable que ces PME perdent une partie de ce dynamisme et de cette croissance, par manque d’effectifs. J’ai encore en tête cette start-up suisse dont nous parlions dans une de nos newsletters en début d’année et qui n’arrivait pas à recruter de spécialistes (avec 15 postes ouverts) !

Les chercheurs vont-ils quitter la Suisse ?

Autre situation aggravante pour la Suisse : l’UE, suite à la votation, a décidé de geler la participation de la Suisse au programme de recherche Horizon 2020, lui coupant ainsi l’accès à des ressources financières importante. La Suisse a travaillé et travaille dur pour créer un écosystème favorable à la recherche, a investi, et voit ses efforts compromis par cette décision, ce que ne manque pas de souligner régulièrement le président de l’EPFL, Patrick Aebischer. Concrètement, le risque n’est ici pas tant de voir une délocalisation des centres de recherches, mais plutôt un arrêt des investissements, ce qui, à terme, signifierait la fin de cette dynamique d’innovation dont bénéficie la Suisse. Moins de centre de recherche signifierait donc concrètement moins d’attrait et moins de talents. Avec les impacts sur l’économie qu’on peut imaginer.

La Suisse reste attractive mais…

Le pays, selon mes contacts, reste toutefois attractif, notamment par les opportunités proposées et les entreprises et infrastructures qui y sont implantées. Mais on sent bien l’inquiétude poindre chez les étrangers qui y travaillent déjà, et un scepticisme chez ceux qui s’y intéressent (entreprises étrangères et travailleurs qualifiés). Il faudrait surtout que la situation soit clarifiée rapidement, et qu’on connaisse les modalités précises de la loi, et particulièrement les règles d’attribution et les quotas, ce qui devrait être fait en 1ère mouture en juin prochain.

Malheureusement, on peut conclure que la Suisse a déjà payé cash les résultats de la votation sur la limitation de l’immigration, le pays étant devenu de facto moins attractif pour les investissements étrangers et moins attractif pour les talents, 2 « acteurs » qui sont déjà aujourd’hui très convoités. Et vous, comment percevez-vous la situation ?

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