Magazine Humeur

L'incapacité des autorités à bien diagnostiquer l'état de l'économie

Publié le 14 mai 2014 par Magazinenagg
André Dorais
Selon les indices des prix à la consommation au Canada, aux États-Unis et en Europe, l'inflation est faible depuis la crise économique de 2008.  Depuis 2012, elle ne dépasse pas 2 % dans chacune de ces régions, sur une base annualisée.  Elle est si faible en Europe que plusieurs individus, dont Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international, exhortent la Banque centrale européenne d'assouplir sa politique monétaire pour encourager la consommation.  Leur raisonnement est le suivant: une inflation trop faible décourage la consommation qui, à son tour, ralentit la croissance économique.
Question de faire ressortir les nombreuses erreurs de ce raisonnement, voici d'abord quelques affirmations qui seront analysées par suite: une faible inflation ne décourage pas la consommation, ni ne ralentit la croissance économique; une croissance économique n'a nul besoin d'inflation pour naître et elle ne se fonde pas non plus sur une augmentation de la consommation; une politique monétaire «souple» ou expansionniste ne constitue pas un remède à la croissance économique.  Enfin, probablement la plus grave erreur de ce raisonnement est de sous-entendre qu'une politique expansionniste soit sans danger tant que l'inflation est faible.
Une faible inflation ne ralentit ni la consommation, ni la croissance économique L'idée qu'une consommation soit reportée à plus tard parce qu'on prévoit une baisse des prix est généralement rattachée au concept de déflation plutôt qu'à celui d'inflation.  Cependant, qu'on l'associe à la déflation ou à une faible inflation le raisonnement est le même.  Seule une question de degré de «découragement» ou d'empressement les différencie.  On prétend qu'une faible inflation décourage la consommation parce qu'il ne sert à rien de se presser pour consommer lorsqu'on sait qu'on pourra se procurer plus tard et pratiquement au même prix les biens et services qu'on désire.  Dans la même veine, on se dépêchera d'autant moins à dépenser et à consommer s'il y a déflation, entendue ici comme étant une baisse générale des prix des biens et des services.  Je n'irai pas jusqu'à dire que ce raisonnement est ridicule, mais il est certainement exagéré.  On peut concevoir que certains consommateurs retardent l'achat de quelques biens et services parce qu'ils s'attendent à une baisse de leurs prix, mais de là à conclure que la majorité d'entre eux retarde l'ensemble de leur consommation, il y a une marge.  Les gens retarderont leurs dépenses de certains biens économiques, notamment les plus dispendieux, uniquement s'ils peuvent reporter à plus tard la satisfaction des besoins qui sous-tendent l'achat de ces biens et s'ils considèrent hautement probable une baisse à venir de leurs prix et hautement probable leur disponibilité le jour où ils veulent se les procurer.  Par ailleurs, ils continueront de se nourrir, s'habiller et se loger peu importe les prix. On doit rappeler l'évidence.  Craindre une réduction de la consommation parce que les prix des biens économiques sont à la baisse va à l'encontre de la loi de la demande qui dit que plus le prix d'un bien économique est faible, plus il sera convoité, toutes choses égales par ailleurs.  On vient d'abattre l'idée que l'inflation soit nécessaire à la consommation, mais est-elle nécessaire à la croissance économique?  Les trop nombreuses autorités qui attribuent une faible inflation à une faible consommation attribuent tout aussi erronément une faible inflation à une faible croissance économique.  Pourquoi?  D'abord, elles considèrent que la consommation constitue la pierre angulaire de l'économie; elles tirent cette conclusion du produit intérieur brut (PIB) qui accorde la part du lion à la consommation.  Le PIB constitue l'agrégat le plus populaire pour mesurer la croissance économique.  On le présente simplement comme étant la somme des dépenses gouvernementales, de consommation et d'investissement, celles-ci étant aussi qualifiées de dépenses de production.  Bien que le poids accordé à chacune de ces catégories varie d'un pays à l'autre, on attribue généralement aux dépenses de consommation quelque 60 % du PIB.  Ainsi, en partant de l'idée que ces dernières soient peu élevées à cause de la faible inflation, il s'ensuit presque inévitablement une faible croissance économique. Une croissance économique ne se fonde pas sur une augmentation de la consommation Si la consommation constitue une composante importante de la croissance économique, elle n'en est pas la plus importante.  En effet, il ne peut pas y avoir de consommation s'il n'y a pas de production au préalable, à tout le moins un investissement de travail.  Rendre compte adéquatement des dépenses de production constitue la principale faiblesse du PIB.  Non seulement le PIB ne rend pas compte de l'ordre chronologique de la production et de la consommation, mais il attribue à celle-ci un poids démesuré.  Cette erreur provient de la pratique d'exclure plusieurs dépenses de production dans le calcul du PIB sous le prétexte qu'elles se retrouvent dans les prix des biens de consommation.  Or, si les dépenses de production, ou d'investissement, sont inclues dans les dépenses de consommation, pourquoi ne pas les exclure complètement du PIB?  Autrement dit, pourquoi continue-t-on de calculer certaines dépenses de production si elles sont déjà comptabilisées dans les dépenses de consommation?  Selon ce point de vue, inclure les dépenses de production dans le PIB revient à calculer plusieurs fois les mêmes dépenses.  Or, comme le démontre George Reisman, dans son article «The Value of Final Products Counts Only Itself», les dépenses de consommation ne comptent qu'elles-mêmes.   Reisman ne s'en tient pas qu'à cette démonstration, il offre un agrégat alternatif au PIB qui rend mieux compte de la richesse économique.  Il le nomme «revenu intérieur brut».  D'après cet agrégat, les dépenses de consommation, publiques et privées, aux États-Unis, constituent environ 33 % des dépenses totales, tandis que les dépenses d'investissement constituent le reste, soit 67 %.  Ce sont là des résultats qui représentent l'exact opposé de ceux obtenus par l'entremise du PIB.     On doit donc faire attention avant de conclure que la consommation constitue la composante la plus importante de la croissance économique.  C'est vrai uniquement si l'on utilise l'actuelle définition de la croissance économique, à savoir une variation positive du PIB d'une période à l'autre.  Si on ne remet pas en question le PIB, qu'on l'interprète à la lettre, alors on encourage la consommation dans le but d'obtenir une croissance économique à court terme, mais au détriment d'une croissance économique durable.     En effet, maintenir et améliorer les moyens de production exige du temps et des ressources qui ne peuvent pas être disponibles s’ils sont utilisés à des fins de consommation.  Les ressources ne sont pas infinies, seul l’est la capacité de produire la monnaie fiduciaire.  Néanmoins, il ne suffit d’émettre celle-ci en grande quantité pour qu’apparaisse une plus grande capacité de production.  La première relève strictement d’une décision politique, alors que la seconde relève du temps, des ressources disponibles et de l’ingéniosité humaine.  Une banque centrale qui n’est pas consciente de cette différence et qui se sert à la lettre des données du PIB pour déterminer l’état de l’économie préconisera inévitablement le court terme au détriment du long terme. Une politique monétaire expansionniste ne constitue pas le remède à une relance économique Prescrire un remède à un individu exige une connaissance des médicaments et une capacité à bien diagnostiquer les problèmes.  Les banques centrales connaissent les médicaments, mais elles évaluent mal les problèmes, car les outils dont elles se servent pour ce faire sont inadéquats.  Il s'ensuit que les remèdes qu'elles prescrivent le sont tout autant, voire aggravent la situation.   Si une relance de l'économie exige une relance de l'investissement privé, alors tout ce qu'un gouvernement peut faire est de le faciliter.  Il ne doit pas essayer de le remplacer comme il le fait trop souvent sous le prétexte que lui aussi peut investir.  On doit rappeler que ses dépenses ne sont pas tant des dépenses d'investissement que des dépenses de consommation.  S'il doit encourager quelque chose, ce n'est pas la consommation, mais l'épargne.  C'est l'épargne qui permet d'investir dans des moyens de production dans l'espoir d'augmenter la richesse économique. Établir le taux directeur à un niveau historiquement bas n'est pas propice à l'épargne, mais à la spéculation.  Dans ce contexte, les gens sont portés à consommer davantage à crédit et à investir dans des projets ou des actifs plus risqués qu'ils ne le feraient autrement.  L'autre aspect d'une politique monétaire expansionniste est d'accroître l'offre de monnaie.  L'idée principale derrière cette politique est d'encourager la consommation et l'investissement.  Encourager l'investissement est certainement plus constructif que d'encourager la consommation, mais encore faut-il savoir comment s'y prendre.  À réduire le taux directeur à un niveau plus bas que celui qui serait établi par les forces du marché et à augmenter l'offre de monnaie à un niveau plus élevé que celle qui serait établie par ces mêmes forces, la banque centrale n'aide pas l'investissement, mais lui nuit.  Elle lui nuit, car elle fausse les données à partir desquelles l'homme agit et investit. Parce que les taux de financement sont peu élevés et qu'il y a beaucoup d'argent de disponible, les agents économiques sont incités à investir dans des projets de longue durée.  Cependant, il n'y a pas plus de ressources disponibles, il y a uniquement plus d'argent pour se les procurer.  Les premiers à investir grâce à cette politique réaliseront probablement leurs projets, toutes choses égales par ailleurs, car ils obtiennent les ressources (matière première, main-d'œuvre, etc.) aux prix prévus.  Cependant, plus le temps passe, plus les prix de celles-ci risquent d'augmenter pour satisfaire la demande accrue.  Il s'ensuit que les entrepreneurs qui tardent à débuter leurs projets risquent d'être incapables de les compléter, soit parce que les prix des ressources s'avèrent plus élevés que prévus, soit parce qu'elles ne sont plus disponibles en quantité suffisante.  Plusieurs ressources sont ainsi dilapidées, mais ce constat demande temps et réflexion pour être réalisé. Les effets d'une politique expansionniste sont plus faciles à observer dans les marchés boursiers.  Peu après leur effondrement en l'an 2000, les banques centrales ont abaissé leur taux directeur et augmenté leur offre de monnaie.  Lorsque les marchés sont repartis à la hausse en 2003, les banques centrales ont alors rehaussé leur taux directeur et diminué leur offre de monnaie.  En 2008, nouvel effondrement des marchés, les banques centrales abaissent de nouveau le taux directeur et augmentent de nouveau l'offre de monnaie. Aujourd'hui, en 2014, les marchés boursiers, notamment américains, sont à des niveaux records, mais les autorités continuent de stimuler l'économie.  Doit-on conclure qu'elle ne se porte pas aussi bien qu'on le dit?  Si c'est le cas, est-ce à dire que les marchés boursiers reflètent davantage les politiques monétaires qu'une embellie économique?  Je le pense, mais ce point de vue n'est pas partagé par les autorités.  Elles sont néanmoins craintives, sinon elles ne continueraient pas à encourager la consommation, à injecter des sommes colossales dans l'économie et à maintenir le taux directeur à un niveau historiquement bas.  Les autorités monétaires ne sont pas prêtes à adopter une politique monétaire restrictive pour ralentir la progression des marchés, tandis que les autorités législatives ne sont pas prêtes à adopter une politique fiscale restrictive pour ralentir la progression de la dette publique.  Elles n'y sont pas prêtes, car elles n'ont de yeux que pour l'inflation, telle que déterminée par l'indice des prix à la consommation.  À mon avis, il y a deux raisons principales qui expliquent la faible hausse des prix des biens et services de consommation.  D'abord, le marché des ressources premières est en baisse depuis 3 ans, du moins il l'était jusqu'à tout récemment, ce qui se répercute sur les prix des biens de consommation.  Ensuite, les taux d'intérêt sont en baisse depuis 33 ans et de manière plus prononcée depuis la dernière crise économique. Ces taux affectent directement le financement des maisons et des véhicules qui constitue une part importante des dépenses considérées dans l'indice des prix à la consommation.  Ce sont effectivement les prix du financement de ces biens qui sont inclus dans ledit indice, ce qui explique en partie qu'il soit si bas.  Les autorités veulent une augmentation de l'inflation, mais non une augmentation du taux directeur...  Voilà un problème qui risque d'être résolu sans leur aide.  Au-delà de ces spéculations à savoir pourquoi l'indice des prix à la consommation est si bas, on doit réaliser que les biens économiques répertoriés par cet indice ne constituent qu'une infime partie de ceux affectés par les politiques monétaires.  Il s'ensuit qu'une faible inflation des prix des biens et services de consommation ne doit pas être considérée comme représentative de l'ensemble de l'économie.  Une faible inflation ne prouve pas qu'une politique expansionniste soit sans danger Les banques centrales ne remettent pas en question leurs politiques; elles se défendent d'être la cause principale des cycles économiques.  Si ce n'était des définitions de la richesse économique et de l'inflation qu'elles utilisent, leur position serait indéfendable.  Il y a, en effet, également leur définition de l'inflation qui cause problème.  En définissant l'inflation comme étant une hausse des prix des biens et des services de consommation, non seulement les banques centrales réduisent leur champ de vision et perdent le sens des proportions, mais elles se rendent inaptes à expliquer la variation des prix des biens économiques.  Pour être en mesure d'expliquer la variation des prix des biens économiques, on doit d'abord évaluer la variation de la «quantité» de monnaie dans l'économie.  On parle de quantité pour faire simple, mais ce n'est pas précis car cela renvoie au temps où la monnaie était métallique et évaluée au poids, toutes choses égales par ailleurs.  Aujourd'hui, lorsqu'on évoque une évaluation de la quantité de monnaie, on réfère en réalité à une évaluation de sa valeur nominale.  Lorsque cette valeur est accrue relativement à la richesse créée, on parle communément d'«inflation monétaire». L'inflation monétaire constitue la source principale de l'augmentation des prix des biens économiques.  Les biens économiques représentent une catégorie beaucoup plus large que les biens et services de consommation.  Ils sont utiles, rares, échangeables et ils sont produits ou non par l'homme.  Ils incluent et les biens et services de consommation et les biens de production.  En somme, on peut dire que tout ce qui peut légitimement avoir un prix constitue un bien économique.  L'inflation monétaire n'affecte pas les biens économiques de manière égale, elle s'y répercute différemment selon la façon dont elle est introduite dans l'économie et selon les désirs de ceux et celles qui en ont un accès privilégié.  Les marchés boursiers et immobiliers sont souvent les premiers bénéficiaires du nouvel argent, ce qui explique la variation de leurs prix, mais celle-ci n'est pas comptabilisée dans l'indice des prix à la consommation.  Par conséquent, il ne suffit pas de constater une faible inflation d'après cet indice pour conclure que l'inflation monétaire soit sans danger.  En somme, les autorités monétaires commettent deux erreurs plutôt qu'une en ce qui a trait à l'inflation.  Elles ne voient pas de danger à l'inflation monétaire autre que celui répertorié dans l'indice des prix à la consommation et elles se servent de cet indice pour déterminer leur politique monétaire.  Ce faisant, elles accentuent les cycles économiques plutôt que de les réduire et elles détruisent la richesse sous le prétexte de stimuler l'économie.  Évidemment, le poids démesuré qu'elles accordent au PIB et à la consommation ne les aide pas à voir plus clair.


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