Certains livres, quand on les reçoit, vous émeuvent comme si vous touchiez un tissu très doux, un peu de neige ou une main amie.
Vous restez là, à les regarder un moment avant de les ouvrir.
Le titre, sang sur la neige de papier.
Les noms du poète et de l’artiste.
Encre noire des mots.
Et tout en bas, deux initiales. J.B.
J’ai emporté ce livre avec moi comme on emporte un secret. Le nom de Thierry Metz brûlait la couverture et j’avais hâte de lire les poèmes de Cédric Le Penven, écrits en écho.
Le livre s’ouvre et les encres de Jean Gilles Badaire éclairent le regard du lecteur. Mais aussi sa main. C’est elle qui tient le livre. Travail de l’artiste et de l’éditeur mis au service des poètes. Car ici ils sont deux poètes. Sur la couverture leurs noms se rejoignent. A l’intérieur, leurs poèmes.
Le livre ouvert, nous découvrons le premier mot, celui qui relie la main et le regard, premier mot du poème de Thierry Metz, imprimé ici à l’encre rouge, et ce mot appelle à la lecture comme il a appelé à l’écriture Cédric Le Penven.
« manœuvre
homme qui va revenir »
a écrit T.M. au début de son poème et c’est ce mot de manœuvre que Cédric Le Penven a choisi, en le reprenant dès l’ouverture, comme il va reprendre au long des poèmes d’autres mots du texte initial, chambre, moraine, dormeur ou encore élagueur.
Le mot manœuvre est un mot humble comme le travailleur qu’il désigne dont Larousse nous dit qu’il est à la base de la hiérarchie des salaires. Le mot vient du bas latin manuopera et signifiait alors corvée. Il ouvre le recueil et nous conduit à l’intérieur même du poème, celui de T.Metz et celui de Le Penven, et rattache les deux écritures, à la fois au monde du travail et à celui de la poésie. Aux lecteurs de Metz, il rappelle le Journal d’un manœuvre, publié en 1990 aux éditions Gallimard.
Le temps d’un livre, dit Le Penven, lecteur et poète auront suivi le manœuvre de mot en mot, cet « homme qui va revenir » et qui laisse derrière lui une soif lancinante et cette douleur inscrite dans le chemin de celui qui avance. Si les mots sont ceux du travail, on trouve aussi ceux qui ouvrent un espace entre, entre rouilles cadavres de chats de bouteilles(…) mais également entre les pronoms (nous, on, je et tu). Se dessine alors l’ombre du manœuvre-élagueur, son emprise bienveillante, figure mouvante du poète à laquelle Cédric Le Penven rend hommage.
Il était juste que le dernier poème du recueil revienne vers ce mot de manœuvre et que Le Penven remercie Thierry Metz d’avoir ouvert le lieu où partager la joie d’être parvenus jusque là :
Manœuvre
pour tes gestes précis autour de la table
pour ta bouche restée close pendant les bavardages
(…)
Pour les derniers jours d’octobre
pour la colère juste
pour la peur de mourir
je te dis
merci
[Sylvie Durbec]
Cédric Le Penven, Sur un poème de Thierry Metz, encres de Jean Gilles Badaire Jacques Brémond éditeur.