Article en forme de plaidoyer pour redécouvrir une œuvre souvent citée mais peu lue et encore plus rarement travaillée alors même que sa pertinence n’a jamais été aussi forte.
Nous vivons aujourd’hui une triple crise.
Une crise économique. Une réaction en chaîne non maîtrisée nous a fait passer de la relation marchande à la toute puissance de la seule raison économique. Une construction européenne marquée très fortement du sceau de l’ordolibéralisme a fait de la concurrence et du marché une nouvelle idéologie, au sens où l’entendait Arendt pour les deux totalitarismes du siècle dernier : la logique d’une idée poussée à son terme et emportant tout sur son passage. Le libéralisme, sous ses deux formes complémentaires politique et économique, sous couvert de moindre mal nous conduit plutôt au « meilleur des mondes ». L’augmentation de la productivité, due aux nouvelles technologies et aux nouveaux modes d’organisation, détruit plus de travail que l’extension des marchés n’en produit et induit les premiers signes d’une sortie du capitalisme.
Quelques auteurs à lire : Jean-François Billeter, Christian Laval, Jean-Claude Michéa, André Gorz
Une crise de la démocratie. Depuis la fin des années 1970, Le développement du « supercapitalisme » favorise le consommateur et l’investisseur aux dépens du citoyen, fragilisant fortement la démocratie. Démocratie qui vit par ailleurs une seconde crise de croissance qui rompant les équilibres établis la rend immaîtrisable au nom même de la démocratie. Démocratie enfin attaquée par le développement de l’idéologie gestionnaire qui s’étend à l’ensemble de la société.
Quelques auteurs à lire : Robert Reich, Marcel Gauchet, Vincent de Gaulejac
Une crise de civilisation. Alors même que nos sociétés font du travail la valeur centrale et le principal élément de lien social,l’extension, la destruction et la précarisation croissante des emplois salariésrendent de plus en plus de travailleurs superflus, les excluant du même coup de la vie publique et politique. L’habitude du travail, essentielle au fonctionnement du capitalisme, tend ainsi à disparaître. Avec la consommation c’est l’autre volet essentiel au capitalisme qui est en crise. La libido, qui est l’énergie du capitalisme, tend à s’épuiser et, avec elle, la sublimation comme pouvoir de socialisation, laissant la place au règne des pulsions. Enfin notre temps semble être celui non pas seulement de « la » mais des catastrophes, climatiques, économiques ou politiques, sociales ou médicales.
Quelques auteurs à lire : Dominique Méda, Bernard Stiegler, Eric Hosbawn, Zygmunt Bauman,Gunther Anders, Jean-Pierre Dupuy, N° de Mars-Avril Revue Esprit sur le temps des catastrophes
Cette pensée peut être confrontée utilement à quelques approches contemporaines : la méthode d’Edgar Morin, l’individuation de Gilbert Simondon, la contreproductivité et l‘hétéronomie d’Ivan Illich, la croissance ou le progrès de Christian Comeliau, la propension des choses de François Jullien, la traduction vue par Jean-François Billetter, le catastrophisme éclairé de Jean-Pierre Dupuy, les niveaux d’organisation du vivant d’Henri Laborit, l’approche des situations de Dominique Fauconnier, l’acte vu comme aventure par Gérard Mendel, les nouveaux principes d’efficacité du monde industriel décryptés par Pierre Veltz, Bruno Latour, Jacques Ellul, René Girard,….
En résumé cette pensée peut nous aider à retrouver le sens et les chemins du vivre ensemble dans un monde global et complexe.