Marcel André Mouloudji (1922-1994), fils d’un Kabyle et d’une Bretonne, est un chanteur, auteur-compositeur-interprète, peintre et acteur français, très connu quand j’étais plus jeune. Comme chanteur on lui doit Comme un petit coquelicot et Le Déserteur écrite par Boris Vian; en tant qu’acteur, il est l’un des trois jeunes garçons d’un film que j’adore, Les Disparus de Saint-Agil de Christian-Jacques en 1938. Alors qu'il n'a que dix ans, la mère de Marcel est internée pour désordre mental et son père, analphabète, logé dans une chambre de bonne, a du mal à élever ses deux fils dont l'aîné, André, est gravement malade et le second, un doux rêveur qui trouve à se loger au hasard des rencontres. Pendant la guerre, il vit dans une semi-clandestinité. Il racontera son expérience en 1945 dans son livre Enrico pour lequel il recevra le prix de la Pléiade, ouvrage qui vient tout juste d’être réédité.
« Récit autobiographique, réaliste et cru, de la vie d’un enfant dans le quartier misérable de Belleville à Paris durant les années qui ont précédé la Seconde Guerre mondiale. » Je me suis laissé abuser par la quatrième de couverture, j’ai cru qu’il s’agissait des mémoires de Mouloudji couvrant une période donnée avec des faits précis. Il n’en est rien.
Si Mouloudji se base bien sur des faits réels, tirés de sa propre jeunesse, il m’a fallu faire des recherches sur sa biographie dont j’ai donné des éléments significatifs en introduction, pour comprendre de quoi il était question dans ce court ouvrage. Car Mouloudji n’adopte pas un style orthodoxe pour évoquer ses souvenirs. Les premières pages m’ont paru lamentables, écriture pauvre, vocabulaire approximatif (« je fus agrippé par les remords »), phrases incompréhensibles (« Il y a une lubie sur le carrelage. »). Puis au fil de la lecture, on comprend qu’il ne faut pas prendre le texte au pied de la lettre, il faut l’interpréter ou l’appréhender comme on le ferait d’une poésie, pour accéder à la vie réelle de l’auteur. Les mots, les phrases sont sensés éveiller des images, des sensations ou des situations. Rien ne s’enchaine très logiquement.
Une vie de misère, la mère folle et le père frustre, l’environnement malsain dans tous les sens du terme, le sexe sordide qui rôde, le catéchisme et les promenades du dimanche après-midi, le récit est décousu mais le gamin ne semble pas en souffrir, une raclée par-ci, par-là, n’entamant pas sa joie de vivre.
J’imagine que le livre a été primé lors de sa parution en raison de son écriture audacieuse pour l’époque, proche de l’onirisme aussi, mais pour ma part je ne lui trouve qu’un intérêt très mince.
« J’entendis mon père qui montait l’escalier. J’eus un élan de sympathie et j’ouvris la porte. Il arriva, m’embrassa et rentra dans la chambre. « Il a son mauvais regard », me dis-je, « encore des bagarres avec maman ». Mon père était juste un peu ivre. Il s’assit et, prenant un journal, il le mit à l’envers devant ses yeux et fit semblant de le lire. Ma mère et mon frère vinrent. Elle prépara le repas et nous mangeâmes. Mon père me regarda et parut étonné, mais il ne souffla mot. Nous partîmes avec des sacs sur des boulevards bordés de terrasses de cafés et d’arbres. »
Mouloudji Enrico Gallimard L’Imaginaire – 162 pages -