« Lumière ombre lumière lum –
» la nuit, le jour, la nuit : terre natale du cauchemar sous le
tranchant des « sabots – /
juments courent hennissent ». Cauchemar ou nightmare (traduction
étymologique : cavale ou jument de la nuit).
Cela commence par un livre qui voue sa peine à traduire le côté obscur de
l’œuvre universelle, l’autre face d’une monnaie qui nous est (ren)due à la
lecture. Que ce soit pour les opposés qui se complètent, que réclame la doxa
(qui n’est pas tenté de penser en écho réversible aux leçons de
ténèbres ?) ou pour honorer ce sens de l’univers qu’on néglige, versé dans
l’inconnu, l’impalpable, falsifié par ses propres ombres, renié par ses propres
désirs – donc éclairant dans une mesure qui échappe à l’homme sensé. Telle est en tout cas
l’observance qui répond à l’éthique du poète car tel lui incombe ce travail
d’énonciation de proche en proche qui lui permet de continuer d’observer en
filigrane cette part récurrente des évènements qui nous manque après leur
évasion dans l’air, leur dessèchement.
« Si/ remonte/ la langue acide (…)
luisance alors/ mord/ sur le coriace le nerveux… » Ou comment la
vivacité du désir, de faire pressentir, de dire est à son comble malgré la
sentence apparemment calme comme moyen – sentences qui s’étendent et se
rétractent à l’envi refusant toute hiérarchie de l’une à l’autre, annonçant à
chaque fois un retour d’où fuse… le poème primordial.
L’outillage rhétorique traditionnel est mis de côté au profit d’un langage
pourtant dense qui jamais ne s’essouffle, car les « tropes » sont encore trop « le visible ». Mais l’incise (« indécise »), qui
caractérise entre autre la poésie de J.C Schneider (bien que moins récurrente
dans ce recueil), resserre l’étreinte du langage, ne lui ajoutant ni ne lui
retranchant aucun sens ; parfois jusqu’à l’écorchure. « Phrase –/ pas devant pas, doute, se/
rabroue, sourde… »
Sans déroger à une poétique affirmée au fil des recueils (voir bibliographie de l’auteur), les « Leçons de
Lumière » en passent par une syntaxe qui nécessite affrontements, tensions
voire douleurs spécifiques avant d’atteindre à un semblant de sérénité – mais
en sera-t-il jamais entre ombre et lumière ? Le fait est là : un rien
de pointillisme s’accroche malgré le passage du temps sur la matière. Or
comment figer tant d’incises en mouvements : « gesticulants tronçons », « vers tranchés » en poésie de « reptation » ; coupée, c’est-à-dire – jusqu’à
l’inacceptable –, mais dont résiste le spasme ? Un spasme qui affranchit
l’homme-poète des limites de son corps terrestre, en le submergeant au
contraire dans cette gigantesque plaie que lui offre le monde. Au lecteur d’en
forcer l’ouverture, à la rencontre de ces mots : « re-/noyés/ dans la langue et l’endormement/
quand l’épidémie vie (…)/ prolifère sous sa peau de dure mère,/ durcit,/ dure. »
A lui cette main tendue, ça et là, sous le mode impératif qui le ramène à
soi-même, et à l’ordre du monde dans lequel il se démène : « limez, dents… » est-il conseillé,
« écorchez le vernaculaire… »
en préalable à toute démarche véhiculaire, certainement, qui se cache derrière
le mot : poème, toujours trop empreint de sagesse. Pour faire en sorte que
l’homme se dégage de ses ornières, quelle que soit la douleur ; et par là même
de sa condition ? dire si le texte se mérite doublement alors. « Mais : leçons », d’abord.
Contribution de Mazrim Ohrti
Jean-Claude Schneider
Leçons de lumière
Atelier La Feugraie, 2007