States of Grace, de Destin Cretton : spontané par accident
Une douzaine d’adolescents hébergés en famille forcée dans un foyer médicalisé pour mineurs au rebut. Grace et son compagnon Mason dirigent la maison: faire respecter les règles, répartir les horaires de télévision, donner à chacun la place de dire ses émotions. Sous leur houlette, la maison fourmille de bruits, d’objets personnels et de bricoles sans propriétaire. Les pièces jaunes se décorent d’œuvres des pensionnaires et d’objets fanés par le grain Instagram de l’image. L’ambiance est celle d’une étrange colonie de vacances où la routine des activités se déroule dans une insouciance fragile, parfois forcée et brisée par les hurlements d’un pétage de câble.
C’est Grace que nous suivons, mince dans son jean et mutique derrière sa mèche.
D’abord son existence entre les murs du foyer, où le devoir de « donner un cadre » aux kids impose de maintenir une stature ferme. Connaissant chacun d’eux et le montrant parfois jusqu’à la singerie, elle négocie les crises via un personnage tendre-ironique de monitrice-grande-sœur.
Chaque soir nous ramène à sa vie privée avec le barbu Mason, dans une autre maison décorée de tissus usés et d’art do-it-yourself, décor de scènes qui veulent à tout crin montrer la fragilité et la part d’ombre. Gros plan prolongé sur deux assiettes jumelles tachées de sauce tomate. Se dessiner l’un l’autre sur le sofa, l’un dessinant adorablement mal. Laisser une question simple en suspense et verser quelques larmes sur une musique douce.
L’arrivée de Jayden, une jeune fille rebelle à la voix chargée de sarcasme, brise les routines de Grace en ravivant en elle les souvenirs d’un passé violent. Cherchant à aider la nouvelle arrivante, Grace se perd elle-même, entraînant la maison dans une période noire, avant de trouver un nouveau chemin.
Il est certainement difficile pour un cinéaste de montrer le quotidien sans provoquer l’ennui. Et tout aussi difficile d’aborder avec justesse le malaise extrême. Malgré des efforts visibles pour laisser s’exprimer le profond dans l’anecdotique et pour tendre vers la sincérité (limitant les mots lors des scènes douloureuses, surfant sur des dialogues au tac-au-tac sans verbalisation du drame), Destin Cretton livre un résultat plaisant, mais guimauve et balisé.
La trajectoire de Grace se révèle attendue et le gentil Mason particulièrement creux, aucun des deux acteurs n’insufflant de personnalité forte. Les images sont lourdement recherchées : les affiches de travers aux murs du foyer semblent avoir été placées au rapporteur. Trop de longs gros plans sur objets du quotidien, à se demander quel sens on veut absolument leur donner. Trop de de ralentis et phrases en suspens interminable. Dans ce dégoulinage d’intentions appuyées, trop peu de place au spectateur pour faire son chemin entre les cheveux longs et les tissus à carreaux.
Le film se rachète par le traitement convaincant, malgré l’emphase, des jeunes « à problèmes », l’inspiration du film provenant des deux ans que Destin Cretton a passé en tant qu’encadrant dans un foyer de ce type. Ayant des souvenirs de groupe de paroles, j’ai moi-même reconnu certaines ambiances tendues et certains personnages clairs-obscurs au passé chargé.
Certains personnages de jeunes, bien servis par leurs acteurs, offrent également de la fraîcheur. Marcus, 17 ans, noir-américain, en colère, se lance dans un rap plein de ressentiment. Gros plan lourd sur son visage, mais il sauve la scène en disant simplement le texte, de bonne qualité, sur un rythme lent et syncopé, laissant filtrer la douleur sans surjouer. On regrette simplement que Mason, en arrière-plan, fasse sonner faux sa platitude de conclusion.