MÉMOIRES D’UN FARCEUR (d'après Maupssant)
Mes chers frères, mes chères sœurs,
Nous vivons dans un siècle où les farceurs
Ont des allures de croque-morts
…Et se nomment politiciens ! D’accord ?
On ne fait plus la vraie farce,
La farce joyeuse, la bonne farce.
Et pourtant,
Quoi de plus amusant
Et de plus drôle que la farce ?
Ah ! Dans ma vie,
J’en ai fait des farces
Et on m’en a fait aussi.
Je veux en raconter deux aujourd’hui.
La première que j’ai subie
Et la suivante que j’ai infligée.
La première. J’allais chasser chez Yves G.,
Un ami gentleman-farmer,
Sur ses terres de Picardie.
On me fit une réception princière.
On tira des coups de fusil.
On m’embrassa,
On me cajola.
Je me serais juré :
‘’On te prépare quelque chose, vieux furet ! ‘’
Pendant le diner, la gaité
Fut excessive, trop importante.
On devait avoir dans l’esprit
L’attente d’une plaisanterie
Qu’on allait me destiner. Attention.
Je ne laissais passer ni une intention,
Ni un geste, ni un mot.
Je montais me coucher tôt.
On m’avait dit bonsoir.
J’ai fermé ma porte à clé, mais dans le couloir
J’entendais chuchoter.
On m’épiait.
J’inspectais murs, parquet, meubles et volets.
Je n’aperçus rien de particulier.
Cependant le lit me parut suspect.
Je n’osais me coucher.
J’ai tiré le matelas en vitesse
Au milieu de la pièce
Et me glissais enfin sous le duvet.
Je demeurai deux heures éveillé,
Tressaillant au moindre bruit.
Puis, tout étant devenu calme dans le château,
Je m’endormis.
Soudain, je fus réveillé en sursaut.
Venait de s’abattre sur moi un corps pesant.
Et sur la poitrine,
Je recevais en même temps,
Un liquide brûlant,
Un pot de confiture et trois tartines.
J’ai cherché à reconnaître quelle était
La masse tombée sur mon corps.
Je rencontrai une figure, des favoris, un nez.
D’un bond, je me suis sauvé dans le corridor !
On accourut au bruit
Et on trouva, étendu sur mon lit,
André, le valet :
Sur ma couche il avait trébuché
En m’apportant le petit déjeuner.
Son plateau s’était renversé.
Ah ! Ce jour-là, on a ri !
Oui, on a bien ri !
L’autre farce que je veux conter,
Je l’ai imaginée
Quand j’avais quinze ans.
Mes parents recevaient de temps en temps
Une de leurs vieilles amies, hargneuse,
Mauvaise, vindicative, grondeuse.
Elle me détestait, je ne sais pourquoi.
Elle ne cessait de rapporter contre moi,
Tournant en mal mes moindres actions,
Mes moindres expressions.
Oh ! La vieille chipie !
Elle s’appelait Mme Duby.
Bien qu’âgée de quatre-vingts-six ans,
Elle portait une perruque auburn
Ornée de ridicules petits rubans.
Moi, je la détestais du fond du cœur
Et résolus de me venger
De ses mauvais procédés.
J’ai utilisé du phosphure de chaux.
Quand ce produit est jeté dans l’eau
Il s’enflamme, détone, dégage des vapeurs
D’une épouvantable odeur.
Donc, un soir, je pénétrai furtivement
Dans la chambre de Mme Duby
Et, pardon, mesdames, je saisis
Le récipient blanc
De forme ronde, caché ordinairement
Non loin de la tête de lit
Ou à l’intérieur de la table de nuit.
J’y déposai une poignée
De phosphure de chaux
Et allai guetter
Dans une cachette peu éloignée.
Mme Duby monta bientôt.
Quand elle fut prête à se coucher,
Je mis l’œil à la serrure de mon ennemie.
Elle ôta sa perruque, se dévêtit,
Mit son râtelier dans un verre,
Endossa un grand peignoir blanc,
Fit sa prière,
Puis s’assit sur l’instrument
…De ma vengeance.
J’entendis d’abord un léger bruit
Puis des détonations en série.
Je vis les yeux de Mme Duby s’ouvrir
Se fermer, se rouvrir.
Puis elle se dressa, la mine patibulaire,
Et quand apparurent de petites flammes
Et une fumée mystérieuse,
Que pensa la dame ?
Crut-elle à une maladie affreuse ?
Songea-t-elle
Que ces vapeurs, sorties d’elle
Allaient brûler sa chair
Voire lui ronger les viscères ?
Bref, elle poussa un grand cri
Et s’abattit au pied du lit.
Je courus dans ma chambre et m’y enfermai.
J’écoutais.
On allait. On venait.
On parlait…Puis… on riait !
Je reçus de mon père une raclée
Dont je me souviendrai !