Salle 5 - vitrine 6, côté seine : 7. de quelques fruits : le mimusops

Publié le 13 mai 2014 par Rl1948

  

© Richard  LEJEUNE

repris de  Paul BARGUET

Le temple d'Amon-Rê à Karnak. Essai d'exégèse

  Le Caire, I.F.A.O., 3ème édition, 2008,

p. 172.

  ... Il a fait, en tant que son monument pour son père Amon-Rê, l'aimé, l'acte d'élever pour lui l'Akh-Menou, comme quelque chose de nouveau, en grès.

(Traduction personnelle)

     Rien ne fut assez beau, vous l'aurez certainement remarqué, amis visiteurs, lors d'un séjour à Thèbes, rien ne fut assez grandiose aux yeux de Thoutmosis III pour glorifier dans la pierre du temple de Karnak le dieu Amon d'avoir pendant près de vingt ans rendu son coeur pugnace et son bras victorieux, invincible : obélisques, chapelles, piliers héraldiques à la décoration sommitale manifestant la suprématie du souverain tout à la fois sur la Haute et la Basse-Egypte, pylônes dont les scènes gravées précisent au peuple des croyants pour lesquels ces portes matérialisaient le point ultime au-delà duquel seuls Pharaon et prêtres ritualistes avaient droit d'entrée, les fonctions cultuelles et conquérantes réunies dans les mains royales ; mais aussi aménagements d'une nouvelle enceinte contre laquelle viendraient immanquablement s'essouffler les éventuelles manifestations du chaos extérieur, ainsi que d'un immense complexe liturgique : l'Akh Menou

     De ce temple de régénération du roi, de cet Akh Menou brillant de monumentsou, pour être plus précis, Menkheperrê Akh Menou, comprenez :Menkhepperê (nom d'intronisation de Thoutmosis III)est brillant de monuments -, de cet ensemble de constructions sises au-delà de la Cour du Moyen Empire,

 

j'eus déjà l'opportunité de vous entretenir quand, de conserve, en juin 2011, nous avions, rappelez-vous, admiré, au Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, plus précisément en sa salle 12 bis, la Chambre des Ancêtres de ce même souverain, reconstituée grâce aux blocs rapportés d'Égypte au XIXème siècle par Émile Prisse d'Avennes.

     En revanche, de ce que le roi conquérant souhaita au nord-est de cet Akh Menoude cet ensemble architectural que les égyptologues sont convenus d'appelerJardin botaniqueje n'eus point encore l'heur d'ici l'évoquer.

     Une première salle rectangulaire, communément qualifiée de "vestibule", relativement étroite, aux murs désormais écrêtés à plus ou moins 1,80 mètre et dont les quatre colonnes papyriformes fasciculées surmontées d'architraves encore en place donnent à penser qu'exista là le plus haut plafond l'endroit, 

n'est plus constituée que de parois fort abîmées, de sorte que de la décoration initiale ne subsistent que des bas-reliefs de végétaux et d'animaux, - des oiseaux surtout -, visibles sur le seul registre inférieur,

ainsi que des textes hiéroglyphiques évoquant uniquement la flore ramenée par le souverainen l'an 25 de son règne aux fins probables de les acclimater sur les rives du Nil :

     ... toutes sortes de plantes étranges, et toutes sortes de fleurs choisies qui se trouvent dans la Terre du dieu, et qui ont été apportées à Sa Majesté quand Sa Majesté s'est rendue au Retchenou supérieur pour renverser les pays (du Nord), selon ce qu'avait ordonné son père Amon qui a placé toutes les terres sous ses sandales depuis (ce jour) jusqu'à des millions d'années. 

     Dans une seconde salle voisine, ornée de niches, çà et là quelques scènes, également à caractères botanique et zoologique.

         Personnellement, de ce superbe décor naturaliste,

et aux fins d'illustrer l'un des fruits exposés sur l'étagère de la vitrine 6, côté Seine, de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre

où vous avez, souvenez-vous, trois semaines durant,appris à mieux connaître la laitue, permettez-moi ce matin de retenir uniquement le mimusops - ici, au-dessus, tout à droite.

     A Karnak, vous le distinguerez à gauche, juste avant le premier des volatiles de la partie supérieure,

 ainsi qu'au milieu, avant l'autre série d'oiseaux.

     Ces deux figurations bien distinctes sur une même paroi ont ceci de particulier qu'elles ressortissent au domaine de la tératologie, c'est-à-dire des malformations que peuvent connaître certains êtres vivants ; en l'occurrence, ici, un végétal.

     Je m'explique.

     Le fruit éponyme de l'arbre appelé mimusops, j'y reviendrai la semaine prochaine, se présente normalement seul sur son pédicelle.  

     En revanche, vous l'aurez remarqué, ceux du Jardin botanique de Thoutmosis III relèvent de divers phénomènes d'anormalité - à moins que ce soit un exemple de fructification excessive ? - engendrant l'apparition d'un élément triple sur un pédicule unique (à gauche, au-dessus) ou un ensemble multiple (au centre), cinq en tout, également portés par une seule tige.

     Dans d'autres scènes ont aussi été figurés des mimusops doubles, voire des grappes présentant jusqu'à huit pièces : ce "surnuméraire" traduit une décision délibérée de mettre en évidence un concept de distinction, de différence. J'ajouterai au passage qu'il vous faut envisager sous le même angle de singularité les animaux, exotiques pour la plupart ou, eux aussi, affligés de difformités, évoluant dans cette flore particulière.

     Rien d'anodin, vous vous en doutez amis visiteurs, dans ces constatations. Et encore moins si vous voulez bien vous rappeler que j'ai précisé l'emplacement de ces scènes sur les parois des salles du Jardin botanique : au registre inférieur.

     Significatif, alors ?

     Certes ! Car que trouvez-vous habituellement au niveau des soubassements intérieurs des temples égyptiens ? Des porteurs d'offrandes, figures de fécondité, personnifications de nomes ou de domaines qui, par ce qu'ils apportent, manifestent de l'abondante production alimentaire, animale ou végétale.

     Or, ici, nous la retrouvons cette abondance mais autrement suggérée : vous noterez premièrement que personne ne présente rien, Thoutmosis III se contentant d'en faire simplement étalage et, deuxièmement, que si quelques plantes ou animaux traditionnels sont consentis, la plupart s'illustrent par leur exotisme, par leur étrangeté ; bref, sont totalement autres par rapport  à ce que connaissaient les Égyptiens.

     De sorte que cette profusion d'éléments autochtones et allochtones réunis, - le mimusops, par exemple, n'était en rien un fruit indigène, je le rappellerai bientôt -,  n'eut d'autre finalité dans l'esprit de Pharaon que de témoigner de la richesse, de la fécondité de la terre appartenant dans son intégralité - Égypte et autres pays connus à l'époque - à "son père" Amon.

     Et n'expriment rien d'autre les propos royaux des quelques colonnes de hiéroglyphes gravés au nord-ouest du "vestibule" dont j'ai tout à l'heure cité le début et que je peux maintenant compléter : 

  ... toutes sortes de plantes étranges, et toutes sortes de fleurs choisies qui se trouvent dans la Terre du dieu, et qui ont été apportées à Sa Majesté quand Sa Majesté s'est rendue au Retchenou supérieur (...)

     Il est arrivé qu'une terre féconde enfante pour moi ses produits. Si Ma Majesté a fait cela, c'est pour qu'ils soient à disposition de mon père Amon, dans sa grande demeure de l'Akh Menou, toujours et à jamais.         

         Mais qu'est exactement ce mimusops qui nous a offert aujourd'hui, amis visiteurs, l'opportunité d'admirer le Jardin botanique de Thoutmosis III, dans le temple d'Amon, à Karnak ?

     Aux fins de répondre à cette question, je vous invite à me retrouver mardi 20 mai prochain, en compagnie  de quelques égyptologues botanistes patentés

         Puis-je compter sur vous ? 

     (Toute ma gratitude à Sonia, Anouket et François, du Forum d'égyptologie, ainsi qu'à Louvre-passion, qui tous ont contribué à magistralement illustrer la présente intervention grâce aux documents photographiques qu'ils m'ont si généreusement offerts.) 

BIBLIOGRAPHIE

BARGUET Paul

Le temple d'Amon-Rê à Karnak. Essai d'exégèse, Le Caire, I.F.A.O., 3ème édition, 2008, pp. 157, 172, 198-200 et  283.

BAUM  Nathalie

Arbres et arbustes de l'Égypte ancienne, OLA 31, Louvain, Peeters, 1988, pp. 87-90.

BEAUX Nathalie

Le Cabinet de curiosités de Thoutmosis III, OLA 36, Louvain, Peeters, 1990, pp. 7-56 ; 158-60 et 314-9.