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Daash et les “cheikhs de la discorde” : indignation sur commande en Arabie saoudite

Publié le 12 mai 2014 par Gonzo

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Une émission à la télévision, en janvier dernier, avait mis en évidence un changement d’attitude de la part des autorités saoudiennes. Dans ce pays où rien de ce qui se diffuse sur les médias publics n’est vraiment laissé au hasard, un journaliste célèbre, Dawood al-Shiryân, avait fait alors beaucoup de bruit en accusant les « cheikhs de la discorde » d’envoyer la jeunesse saoudienne au casse-pipe en Syrie.

Quelques mois plus tard, un jeune Saoudien, Abdul-Rahman Ayeel (عبدالرحمن عايل), fait à son tour beaucoup parler de lui en ce moment dans la presse et dans les réseaux sociaux, depuis qu’il a publié, sur YouTube, un court-métrage d’environ 15 minutes. Intitulé Daash (l’acronyme en arabe pour L’Etat islamique en Irak et au Levant, ISIL en anglais), il raconte l’histoire d’un jeune jihadiste saoudien, parti combattre les « mécréants » à l’incitation d’un cheikh de son pays. Malheureusement pour le jeune volontaire, il est pris pour un espion par les combattants de Daash qui l’exécutent après un simulacre de procès.

Cet événement, situé dans le film dans la ville syrienne de Deir Ezzor, au début du mois de mai, occupe la première partie. La seconde est consacrée au retour du « fantôme » du malheureux apprenti jihadiste (le thème du fantôme – طيف – est un grand classique de l’imaginaire culturel arabe). Il tente, en vain, de communiquer avec son père et sa famille pour leur demander pardon, puis il se dirige vers le cheikh qui l’a envoyé pour savoir s’il se trouve en enfer ou au paradis comme promis aux combattants de Dieu. Le cheikh ne l’entend pas, trop occupé à compter les dons des fidèles…

Le récit se termine par une supplique du (fantôme du) supplicié qui s’écroule à genoux, désespéré, en s’adressant à son Créateur. A la suite du générique, comme une sorte d’épilogue, on retrouve le « cheikh de la discorde » pérorant en se curant les dents (le détail qui tue !) sur les mérites de ceux qui sacrifient leur vie pour leur foi. A sa droite, on devine dans l’assemblée (me semble-t-il) le père, qui l’écoute attentivement tout en s’essuyant furtivement les yeux avec un coin de son shimagh (l’équivalent de la keffieh palestinienne).

Le fait que ce court-métrage soit produit par I-content (Sharikat al-muhtawâ al-mutakâmil), une société de production qui a pignon sur rue puisqu’elle compte comme clients la télévision nationale, le journal Al-Sharq al-Awsat, la chaîne MBC et même le ministère de l’Education, est un indice assez probant de ce que cette réalisation correspond d’une manière ou d’une autre à une commande officielle. Ce que confirment les relais médiatiques locaux, Al-Arabiyya ayant par exemple offert au jeune réalisateur un entretien d’une bonne dizaine de minutes sur sa chaîne (la suite de la séquence étant occupée par un très universitaire local, spécialisé en psychologie, chargé d’expliquer les raisons de cette déviance juvénile).

Abdul-Rahman Ayeel est souvent présenté comme un ancien jihadiste lui-même (en Irak). Dans l’entretien sur Al-Arabiyya, il relate ainsi son retour clandestin chez lui, visiblement désabusé, et l’accueil que lui réserva alors de sa mère. Son film fait d’ailleurs écho à cette expérience mais se garde bien de gratter trop profondément les raisons qui pourraient expliquer le succès que trouvent auprès de la jeunesse de son pays les discours fallacieux des « cheikhs de la discorde ». Mais il paraît que Daash serait le premier volet d’une trilogie, et la suite éventuelle sera peut-être un peu plus incisive sur cette question…

En attendant, le nombre de visionnages sur YouTube n’est pas si impressionnant que cela (rien à voir par exemple avec le phénomène Hisham Fageeh et son No Woman, No drive). En revanche, les commentaires sont très nombreux, et souvent très très agressifs (le jeune réalisateur aurait d’ailleurs reçu des menaces de mort). Auteur pourtant du très réussi Nakira (نكرة : celui qui n’est pas reconnu, visible ici), Abdul-Rahman Ayeel n’a pas l’air d’avoir été très inspiré par son sujet. Signe – en tout cas c’est ainsi que je le vois – que ce pamphlet contre les dérives de certaines interprétations de l’islam, par ailleurs encouragées depuis des lustres dans le Royaume d’Arabie saoudite, est, en partie tout au moins, une œuvre, et une indignation, de commande…

Je vous laisse juge en découvrant le court-métrage en question, en précisant, comme le signale le générique, qu’il est déconseillée aux moins de 18 ans !

(Dans la série « on est plus intelligents à plusieurs : quelqu’un aurait-il une idée de l’auteur du chant – accompagné par un instrument, ce qui n’est pas du tout halal ! – interprété au début du film ? Il n’est pas crédité au générique, non plus que le morceau final qui doit être du ‘oudiste Riyad Sunbati…)


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