Il y a ce chapitre dans Lolita où Humbert Humbert, complètement pris par son obsession, remplit des pages entières avec son prénom : Lolita, Lolita, Lolita, Lolita … Si je m’écoutais, je ferais pareil pour décrire le concert de Justin Timberlake à Zürich l’autre jour. Mais ce serait réduire l’événement à une manifestation pour (ex)-teens groupies en chaleur. Et évidemment, ce n’est pas tout à fait faux, mais tentons de garder notre calme : it’s just Justin.
JUSTIN TIMBERLAKE 20/20 EXPERIENCE TOUR HALLENSTADION (ZÜRICH) 14 AVRIL 2014
Like i love you D’abord, c’était un sentiment dingue. On l’a attendu pendant des années lumières, devant et dans la salle, et puis il y a eu un visuel plein de rouages, un compte à rebours ("Oh mon dieu, il arrive !"), son ombre en vj-ing géant ("Olalala") et LUI ("IIIIIIH"), qui s’est avancé vers le micro ("J’AVAIS PAS REMARQUE QU’IL ETAIT AUSSI PRES !"), il a souri en plissant ses petits yeux pleins d’étoiles ("huh, encore"), s’est mis à entonner "Pusher Love" ("oh oui") et on a perdu la maîtrise de nos corps. Vu de l’extérieur ça devait être assez lamentable, mais en vrai, je peux vous assurer que c’était pas de la marmelade. Même si on avait l’air d’un tas de vieilles groupies hystériques, on se sentait réellement happées par la scène, en mode grosse ébullition d’hormones. Battre des mains pour tenter de s’oxygéner le cerveau, i.e. de se donner une contenance, était désespéré et vain en l’état. Et on se regardait, les yeux écarquillés, extatiques, tant c’était fou de voir ce Justin là, en vrai, juste là, devant nous. Ce qui est plutôt étonnant c’est que nous n’avions jamais éprouvé de truc semblable avant. En tout cas personnellement, je ne me suis jamais considérée comme une fan inconditionnelle de qui que ce soit. Il existe aussi un tas de groupes dont la musique me parle bien plus que celle de JT, il m’est même arrivé d’être émue aux larmes, mais jamais auparavant je n’avais manqué de me pâmer en assistant à une entrée en scène. C’était donc une expérience de groupisme sur le tard et croyez-le ou non, c’était assez cool comme sensation.
Generation Justified En fait, on est parties voir Justin comme on s’embarque en road trip entre vieux potes sous le soleil. Les billets avaient été pris assez spontanément des mois auparavant et depuis on vivait dans un délire nostalgique un peu niais, en faisant des soirées karaoké pour remplacer le fromage de nos souvenirs par de vraies paroles de chansons. Toutes y sont d’ailleurs passées. On a pu danser sur "Rock Your Body", "Love Stoned", chanter à tue-tête "Like I Love You", "My Love" et bien sûr "Cry Me A River" dès la première heure de concert. Au fond, c’est comme si JT était l’incarnation de nos années prépubères, et le voir en bande de meufs, c’était comme transcender les nineties.
What goes around comes back around IL est donc entré en scène après un compte à rebours bien solennel, et puis ses musiciens ont émergé des bas-fonds : d’abord deux batteries, puis une tripotée de choristes et un brass band derrière des pupitres comme ceux de la fanfare du village, mais décorés des lettres JT. Suivant les chansons, il y avait aussi des danseurs et surtout des danseuses qui venaient se frotter à Justin ("grognasse") tandis que lui se déhanchait comme un ouf tout en chantant et en souriant. Le chœur assurait assez les arrières sans recours au playback et Monsieur pouvait s’adonner à de petits tours sur lui même en soulevant la veste de son costard avec une classe infinie. Peut-on être plus parfait ? Je ne crois pas.
The roof is on fire Au bout d’une heure de show et d’une mini pause (parce que oui, JT a fait deux sets), le concert déjà bien grandiloquent à viré à la farce magistrale à l’américaine. Tout à coup, une partie de la scène s’est élevée dans les airs avec Justin et les danseuses dessus. Mais le plus incroyable, c’est que le truc s’est lentement avancé, est passé au dessus de nos têtes et s’est dirigé jusqu’au fond de l’immense salle. La grosse machinerie était bien dingos et nous a arraché des remarques genre "Eh bien, on en a eu pour notre argent !". Même si, ne soyons pas naïfs, ça a surtout servi à faire coucou aux loges VIP. N’empêche que pour le coup, JT a chanté "What goes around" beaucoup trop loin de nous ("scandaaaale !") pour revenir à sa place sur scène / près de nous pendant l’interlude dudit tube avant de citer le Bloodhood Gang en se gargarisant de la "nice party" qu’on était en train d’avoir.
Sexy Back L’orgie s’est terminée sur "Mirrors" et "Sexy Back", tandis que nous achevions de nous tortiller dans tous les sens. C’est quand même dingue comme ce concert nous a pris au corps. Je ne sais pas si c'est la taille de la salle, le charisme de JT ou les vieux beats Timbaland de notre jeunesse qui sont en cause. Toujours est-il que la prestation semblait incroyablement naturelle même si elle était réglée à la seconde près (lorsque l’on compare les setlists des différentes dates de la tournée, on remarque que même le mini moment où Justin s’est adressé au public était orchestré d’avance, c’est dire).
En somme c’était une expérience digne d’une machine à remonter le temps avec d’authentiques tubes incarnés par un BG dont on nous rappelle constamment l’existence sur tous les écrans. Même visuellement, l’uniforme rétro/costard nous dédouanait de l’aspect "plaisir coupable" de ce concert comme quelque chose d’au contraire bien propre et bien mûri. Un genre de gendre idéal au passé assumé, qui te met sur un petit nuage avec des clins d’œil soul/motown d’un incorrigible romantisme. J’ai vu Justin Timberlake en concert et je me retiens de ne pas me justifier tellement c’était cool, 18/20 avec félicitations du jury. Après ça, on était sur un petit nuage et puis Justin quoi, them other boys don't know how to act.