Achik, 10 ans, était tout fier. Non seulement depuis trois ans pouvait-il enfin naviguer sur l'internet avec papa, mais celui-ci lui avait acheté une Xbox en France et l'avait branché sur le réseau wi-fi du resto-bar au-dessus duquel Achik et sa famille résidait. Ainsi, il avait tenté à plusieurs reprises de jouer en réseau, contre des adversaires virtuels d'un peu partout dans le monde mais sans succès. Il ne pouvait jouer que contre la machine.
"Quelle équipe tu vas prendre? quelle équipe tu va prendre Achik? Le PSG? l'équipe nationale d'Algérie? Panathinaikos?" lui demanda son grand frère.
"Mais nooooon! lui répondit Achik, on ne choisit pas des équipes en réseau, on s'en construit des nouvelles! J'ai pas un sporting club je m'en suis fabriqué un avec des joueurs que j'achète avec un système de points, c'est compliqué!" dit agité Achik, maintenant plus grand que nature que de se savoir plus informé que son grand frère et tout à fait le centre d'attention du salon.
"Tu peux gagner de l'argent sur ce jeu?" demanda Nassim, son cousin. Nassim ne s'intéressait toujours qu'au pognon. Personne ne lui répondit. Nous étions tous ici pour le sport!
"Et ta fiche? c'est quoi ta fiche? t'as une fiche gagnante avec ton équipe?" demanda Ali, un ami voisin.
"Mais je n'ai jamais joué en réseau! Je n'ai que bâti mon club, ce sera mon premier match live, là, là, maintenant, devant vous!" dit Achik presqu'ému.
"Est-ce que notre ligne de téléphone sera encore bloquée?" demanda timidement la mère d'Achik, mais la question resta étoufée dans les cris de tous quand la mise au jeu commença sans que personne ne se sentent prêt à ce que le match commence.
Rapidement le pointage était de 0-1, puis 0-2, 0-3, 0-4,0, 0-6..."
"Achik..." a dit quelqu'un, mais aucun verbe n'a suivi. À la demie c'était déjà 0-12.
"Est-ce que tu joues vraiment, Achik?" demanda Hamza
"Bien sur que je joues! mais je me fais donner une raclée! voilà! bon!"
Avant la fin du match, la plupart des plus vieux, qui ne comprenaient pas l'interaction entre le garçon et la télévision de toute façon, se retirèrent ailleurs. Avec un pointage de 0-18, presque plus personne n'assistait aux "prouesses" d'Achik dans son salon au-dessus d'un resto-bar d'Alger.
Ce qui aurait dû être une fête, devenait une honte totale. Une humiliation parfaite.
Il ne termina pas son match. Le pointage était alors de 0-23.
23, le nombre exact de témoins de sa chute dans le minuscule salon au dessus du resto-bar d'Alger.
Le salon de la honte pour Achik.
Il se coucha légèrement peiné ce soir-là.
L'égo bien amoché.
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Banlieue
Monkee descend les marches en trombe.
"Papa! papa! tu ne croiras jamais le match!"
"Hey, T'es supposé dormir toi!"
"J'ai pas d'école demain, c'est toi qui devrait aller de te coucher tu travailles dans 4 heures"
"Stop being so mature for your age, son"
"FIFA sur la Xbox, papa ! tu devineras jamais comment c'est terminé le match que je viens de jouer"
"Par une victoire de l'un des deux clubs j'imagine"
"Le mien parce que je suis trop boooooooooooss! j'ai gagné 28-0, 28-0 papa! le plus gros massacre que j'ai jamais opéré sur la Xbox! Ever! ' l'ai 'crasé 'pa
'CRASÉ!"
J'ai fait semblant que ça m'intéressait. Il passe trop de temps là-dessus.
"Ça aurait pu se terminer moins que ça, mais il a arrêté de jouer à 23-0 et j'ai fait 5 buts sans opposition dans le dernier 2 minutes."
"Tu penses tu que c'est un score normal? T'as eu du fun à le massacrer?"
"Non, mais ça reste impressionnant non? 28 buts!"
Monkee avait des étoiles dans les yeux.
Ça le rend heureux.
Il s'est couché léger ce soir-là.
Me suis endormi et j'ai rêvé à une vieille toune de Leloup.
J'sais pas pourquoi.