"Lyautey: Le Résident" de Guillaume Jobin est une présentation objective s'il en est du maréchal et de son héritage marocain. Néanmoins l'auteur, que l'on sent passionné et fin connaisseur du Maroc, sait aussi laisser percer ses sentiments et n'hésite pas à les exprimer. Il n'aime manifestement pas les colons qui le rendent bien au Maroc. G. Jobin estime que ces derniers, mais aussi l’Église furent des freins entre autres, au développement du pays.
Le livre est l'occasion d'une présentation du système marocain avant et pendant le Protectorat qui le précise l'auteur a été mis en place avant l'arrivée du maréchal Lyautey. Le système Lyautey est nous semble-t-il moins connu que le mythe, voire la caricature du personnage lui-même sur laquelle la bibliographie est assez généreuse. Pourtant comprendre ce qu'est le Makhzen, c'est-à-dire l'État marocain et ses institutions régaliennes jusqu'à l'indépendance du pays est passionnant car parler de Lyautey c'est parler du Maroc d'avant l'indépendance, période trop souvent éclipsée face aux débats sur la décolonisation. Aucune volonté de la part de l'auteur d'encenser le héros de son livre, même s'il reconnaît une certaine sympathie pour le personnage, sans lequel les relations aujourd'hui entre le Maroc et la France ne seraient pas ce qu'elles sont.
Si aujourd'hui nul n'ignore parmi ceux qui s'intéressent au personnage et à l'époque que Lyautey fut homosexuel et qu'il fut certainement comme d'autres plus libre de vivre cet aspect de sa vie sous d'autres tropiques, l'auteur va évidemment plus loin et résume pertinemment le personnage: "artiste, athée, versatile, homosexuel, dilettante, indépendant, narcissique, subdépressif et impatient". L'homme ne pouvait pas s'entendre avec les représentants de la IIIe République, radicaux et francs-maçons. De là à penser qu'il resta si longtemps à son poste grâce à la Première Guerre mondiale, il n'y a qu'un pas. Les militaires ambitieux de l'époque passaient par le Maroc pour y faire leurs armes mais n'y restaient pas. La "pacification" et autres guerres du Rif ont été pour eux l'occasion de fourbir leurs armes, faute de terrains d'action ailleurs si proches de la France. A tel point décalé, qu'il fut même un temps ministre de la Guerre pendant la Première Guerre – à croire qu'il n'effrayait personne. Quatre mois seulement, sorte d'intérimaire au même titre que Lacaze et Painlevé en attendant en novembre, Clemenceau. Lyautey se déclarait monarchiste, mais il fut tout le long de sa carrière au service de la République française, missionné dans une "colonie" monarchique. En complet décalage avec son temps, Lyautey était un esthète flamboyant, velléitaire et narcissique, noyé, écrasé sous les mesquineries de l'administration de la IIIe République, qui lui coupa les ailes. D'où son caractère "subdépressif" comme le précise Guillaume Jobin pour celui qui n'aurait pu à l'époque où il vécut pourtant avoir meilleur écrin que le royaume chérifien pour fantasmer sa vie.
Guillaume Jobin, Lyautey, Le Résident, édition Casa Express/Magellan