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Les homophobes font de l'urticaire cette semaine. Pas seulement les homophobes français qui sont les seuls européens à s'être insurgés contre le mariage pour tous et dont, avec le temps, les séquelles ne sont plus partagées que par quelques handicapés et hypocrites du calbut, mais l'internationale européenne des reproducteurs-non-jouisseurs qui voient les variations du plaisir sexuel étinceler en mille étoiles comme une belle fusée de feu d'artifice.
Au nom du fils
Film de Vincent Lanoo, belge, 2014, déjà un prix et six nominations.
Le film-annonce laisse présager un serial-massacre à la Tarantino. Il n'en est rien. Oui, il y a pas mal de coups de feu, mais ils ne sont ni le sujet ni l'intérêt du film. Le seul qui ait une véritable importance, et qu'on ne voit pas, est celui par lequel le fils de 14 ans d'une famille catho-bourgeoise se suicide en constatant qu'il ne peut pas vivre son homosexualité.
Le scénario est une bombe à fragmentation qui tire des fusées éclairantes dans la nuit de la désinformation et de l'obscurantisme. Il dénonce tout à la fois l'intégrisme catholique avec ses relents racistes et ses velléités de croisades et de ratonnades, l'instrumentalisation de l'homosexualité par une extrème-droite sans scrupules, qui la dénonce et la pratique tout à la fois, la complicité de la hiérarchie catholique qui vend sa pseudo-chasteté comme une valeur marchande en protégeant ses prêtres pédophiles, la désinformation destructrice -genre manif-pour-tous-, qui réduit au suicide les adolescents enfermés dans l'ordre moral et qui se découvrent homosexuels, et cloue également au pilori la rapidité des ecclésiastiques à traiter de « petite tapette efféminée » les garçons dont ils ont joui dès lors que ceux-ci cessent d’assumer le rôle de jouet sexuel qu'ils leur avaient assigné…
C'est dire que le dégoût qu'inspire le film n'est pas provoqué par la vue de quelques cadavres ensanglantés, que le plus humaniste des spectateurs n'arrive pas à plaindre vraiment tant ils incarnent l'ignominie et l'imposture.
Le film, malgré son côté violent, est au contraire quasiment jouissif par la qualité de son humour, par le recul de documentariste que prend le réalisateur face à ce qu'il décrit, et aussi par la qualité de son écriture, car Lannoo, qui a fait une école de cinéma, -et ça se sent-, a une écriture classique, une image recherchée sans aventure, un montage rigoureux et expressif, et livre un film léché, qui va droit au but, avec une ambiance générale « Chatilliez » (la famille belge ressemble aux Lequesnoy de « La vie est un long fleuve tranquille »), affublée de la même ridicule incapacité dans la gestion des situations, de la même impossibilité de parler des choses sérieuses, et gouvernée par les mêmes certitudes métaphysiques qui la déconnecte désespérément de la vie quotidienne.
Traiter le drame par l'humour. Voilà ce qui fait d' « Au nom du fils » un petit bijou de cinéma.
C'est sans doute ce qui explique que Civitas ait fait des pieds et des mains pour l'empêcher de trouver des écrans.
Car Civitas et consorts n'ont toujours pas compris que brandir la censure revient toujours à donner aux œuvres menacées une publicité gratuite qui est le contraire de leur objectif. Dieu a bien donné la bêtise à l'homme, et ce sont logiquement ses plus proches serviteurs qui en ont été les mieux lotis.
Conchita Wurst.
Sans doute Conchita Wurst, de son vrai nom Thomas Neuwirth avait-il quelques chances de gagner le grand prix de l'Eurovision parce qu'il est un bon chanteur, habité par sa vocation depuis l'âge de 14 ans, qui a suivi tous les cours et formations nécessaires, et s'est déjà présenté à de nombreux concours locaux avec des succès appréciables. Le travail et la passion finissent toujours par payer.
Ce qui a lui donné le coup de pouce décisif dans ce concours où les talents ne manquaient pas est sans doute sa personnalité de drag queen. Il n'est pas transexuel et n'y songe pas : il est garçon, satisfait de son état et fier de l'être. Le petit plus qui a transformé la qualité de sa prestation en triomphe est, là encore, sans doute un retour de manivelle de la censure.
Les homophobes en ont trop fait, raconté trop de conneries, proféré trop de menaces, provoqué trop de suicides, brisé trop de familles, fait trop de dégâts. Tôt ou tard, une lame de fond devait répondre au séisme. D'où entre autres, la hola de mariage pour tous qui déferle sur la planète en moins d'une décennie, d'où les triomphes à la Conchita...
Les lois scélérates anti-homosexuelles qui compromettent l'émancipation de l'Afrique, renvoient les pays du golfe au moyen-âge malgré leur richesse, replient la Russie sur elle-même en la marginalisant du concert des nations, la lapidation des homos votée au sultanat de Brunei qui fait à elle seule plus de mal à l'image de l'Islam que toutes les bonnes intentions des musulmans du reste du monde, tout cela déclenche des réflexes humanistes dans les pays bénéficiant encore de démocratie.
Rappelons pour la petite histoire que « Wurst » n'est pas un mot anodin : en allemand, il signifie « saucisse ». Et cela va bien au-delà de l'allusion : c'est le mot le plus usuel, notamment utilisé par les écoliers, pour désigner l'organe viril. Un mot familier, mais nullement vulgaire. L'équivalent de notre « zizi » chanté avec tant de délicatesse par Pierre Perret. Vous saurez tout sur le Wurst.
On a déjà oublié que le premier grand prix de l'Eurovision avait, en 1998 , été remis à un transexuel Israélien, Dana.
Mais Dana ne se distinguait que par son histoire, pas par son aspect. L'immanente sagesse populaire, qui réagit parfois un peu tard, mais néanmoins toujours, a frappé un coup plus fort. Elle porte aujourd'hui une femme à barbe au pinacle. Aux homophobes d'en parachever l'aboutissement publicitaire. Ils ont déjà commencé : avant même le concours, ils ont tenté de l'empêcher de participer, de récuser sa candidature, comme s'il chantait avec son sexe.
Merci à vous, ringards homophobes, de donner à ce prix de l'Eurovision une ampleur médiatique que les autres n'atteignent pas. Celui-là est un symbole : on vous l'a agité sous le nez, et vous avez mordu.
Vive la liberté.