Apprendre à se taire
Se faire toute petite
Obéir
Dès les premiers jours d’école, la consigne avait été donnée. Et personne alors n’aurait osé la contester. Pourtant, deux ans
À quelques jours des grandes vacances, les examens de fin d’année. Dans la classe de troisième, au premier rang, deux petites bavardes. Deux fillettes tout en contrastes. Caroline, la blonde au visage d’ange, vive et loquace. Et moi, la noiraude plutôt frêle, timide et ricaneuse.
En face de nous, la maîtresse qui s’impatiente et se demande comment occuper « ses deux tannantes » qui ont terminé l’examen et qui, encore une fois avec leurs singeries, s’apprêtent à perturber la classe.
Comme il n’y a pas grand-chose à faire, après un moment de réflexion, elle nous accorde la permission de sortir couleurs et crayons pour dessiner dans nos cahiers en attendant l’heure du dîner. Mais nos cahiers sont déjà pleins de marguerites et de soleils. On ne sait plus quoi inventer…
Par les fenêtres grandes ouvertes, sans un nuage, le bleu du ciel. Dans le silence de la classe, venus des boisés alentour, des chants d’oiseaux comme un appel. Façon discrète de nous rappeler qu’à force de tourner en rond dans la cage, on finit par s’ennuyer.
Bientôt la cloche pour le dîner. Repas léger vite englouti. Et puis les cent pas dans la cour. En attendant de revenir en classe.
Trop besoin d’air et puis d’espace. Et moi je dis dans un soupir.
« On ne va pas encore une fois passer le temps à se morfondre ! »
Dans les buissons, les chants d’oiseaux semblent me donner la réplique. Regard complice de Caroline. Et soudain dans nos deux têtes, en même temps, la même idée : s’enfuir à défaut de pouvoir s’envoler.
Coup d’œil furtif à la cour d’école. La surveillante est occupée. Pour nous, voici enfin venu le temps de mettre en pratique la consigne.
Apprendre à se taire
Se faire toute petite
Pour cette fois
Désobéir
Dans le village, nous avançons à pas feutrés. Toutes les deux hantées par la peur d’être pointées d’un doigt accusateur et de se voir sitôt ramenées à l’école sans même avoir pu profiter d’un court moment de liberté. Nous traversons le petit village sans rencontrer âme qui vive. Sauf sur la grand-route, quelques camions. Mais ils filent vite et, de toute façon, n’ont sûrement pas le temps de prêter attention à deux écolières en fuite.
De la grand-route jusqu’au rang 4, un paysage familier. Pour l’avoir tant et tant de fois vu défiler derrière les vitres de l’autobus. Mais il en va tout autrement quand on fait partie du décor et qu’on s’est donné comme défi de traverser ce vert pays tout imprégné d’odeurs de foin, de rose sauvage, de terre grasse et de fumier.
Une heure de marche, deux heures, trois heures ?
Aucune idée de la distance.
De tout le temps passé, ce jour-là, sur la route, je n’ai jamais fait le calcul. Car arrivée à la maison beaucoup plus tard que l’autobus, chacune de nous fut accueillie par des parents plutôt inquiets. Accueillie et réprimandée.
Et moi, à la question « T’es revenue comment ? » posée par ma mère en colère, je me souviens lui avoir répliqué avec un air de défi : « À pied ! »
Notice biographique
Claude-Andrée L’Espérance a étudié les arts plastiques à l’Université du Québec à Chicoutimi. Fascinée à la fois par les mots et par la matière, elle a exploré divers modes d’expression, sculpture, installation et performance, jusqu’à ce que l’écriture s’affirme comme l’essence même de sa démarche. En 2008 elle a publié à compte d’auteur Carnet d’hiver, un récit repris par Les Éditions Le Chat qui louche et tout récemment Les tiens, un roman, chez Mémoire d’encrier. À travers ses écrits, elle avoue une préférence pour les milieux marins, les lieux sauvages et isolés, et les gens qui, à