Un jardin dans les Appalaches

Publié le 11 mai 2014 par Montagnessavoie
Barbara Kingsolver, Un jardin dans les Appalaches, 2007. Après vous avoir parlé de la nourriture athénienne, je fais une pause dans le récit de mes aventures grecques pour une parenthèse lecture, qui a de toute manière quelque chose à voir avec le mode de vie et l'alimentation. Il s'agit du livre que Barbara Kingsolver a co-écrit avec son mari et sa fille aînée, et dans lequel ils nous racontent leur aventure humaine et agricole. Leur but : se nourrir durant 1 an de leur propre production d'animaux, de fruits et de légumes. Cette tentative d'auto-suffisance alimentaire n'obéit pas à un élan de sectarisme. Simplement conscients de la mauvaise marche du monde, des horreurs que nous ingurgitons au quotidien (qui plus est aux Etats-Unis) et des conséquences dramatiques que la nourriture industrielle produit sur l'environnement et sur nos organismes, ils forme le vœu de changer leur mode de vie du tout au tout et de contrôler de A à Z ce qui arrive dans leurs assiettes. Plus qu'une promotion du Bio, il s'agit d'une mise en valeur des produits locaux, d'une remise à l'honneur de variétés anciennes oubliées. Plus de bananes, mais des tomates et des courges du jardin, une vie au rythme de ce que les saisons offrent. Loin de finir overdosés de patates, Kingslover et sa famille découvrent au contraire une variété infinie de possibilités, ce qui fait un joli bras d'honneur à la malbouffe industrielle qui uniformise les goûts et les cultures, transformant le monde en champs de soja géants. Le livre fourmille d'informations, d'études, d'analyses sur ce que nous mangeons, comment nous mangeons et sur l'impact que cela a sur notre planète, ainsi que des liens vers des sites d'information, parce qu'il faut bien commencer par quelque chose. L'auteur n'est pourtant pas du type vieux pantalon troué et dreadlocks sales improvisant à tire-larigot des conférences sur l'altermondialisme. Réaliste, elle lance même des banderilles contre le végétarisme et le végétalisme. "Les pamphlets végétaliens qui montrent des poulets entassés et des vaches malades avancent comme premier principe que toute viande est issue d'un élevage industriel. Non seulement c'est faux mais cela représente un affront pour les gens qui se donnent du mal pour élever des animaux dignement ou pour ceux qui supportent de telles pratiques grâce à leur pouvoir d'achat".  On apprend d'ailleurs que les végétariens et dans une plus grande mesure les végétaliens souffrent de carences importantes, et que leur alimentation, qui veut compenser ces manques en mangeant du tofu et autres produits exotiques venus par avion, a une énorme empreinte écologique sur la planète.  Au-delà du travail énorme que cela a engendré et le bonheur du retour à la terre et aux produits locaux, c'est tout le mode de vie de l'auteur de et de son entourage qui a été impacté par cette année "pilote". De ce changement profond découle une prise de conscience de l'importance du lien familial qui se crée dans la cuisine, en cuisinant ensemble, en partageant des repas de fête.  "En réalité, la surcharge pondérale américaine ne trouve pas sa source dans les repas de fête. Il est vrai qu'à partir d'un certain âge, il n'est plus question de manger des tartes tous les jours, mais le dogme qui impose de la refuser même le jour de Thanksgiving est absolument dévastateur. Les bonnes gens mangent. Les mauvaises gens aussi, les maigres, les gras, les grands et les petits. Il est certain que nous n'allons jamais survivre grâce à la photosynthèse. Planifier de beaux repas sophistiqués, y mettre tout son coeur et donner de son temps pour les préparer est vraiment l'opposé de l'autosatisfaction égoïste. Les réunions de famille centrées sur la cuisine sont la quintessence d'une collaboration qui vise idéalement à régaler l'âme et le corps. On en dépense des calories avant de s'asseoir pour déguster le repas ! Mais avant tout, on parle beaucoup, on échange des nouvelles, on révèle des secrets transmis d'une génération à l'autre, l'air de rien, on donne des conseils. C'est les deux mains engoncées dans des maniques que j'ai reçu et donné les accolades les plus significatives de ma vie." Et, pour conclure, cet extrait qui m'a beaucoup parlé, parce que Barbara Kingsolver y raconte sa redécouverte du lien familial à travers la fête des morts mexicaine, au cours de laquelle les vivants viennent partager leur repas avec les morts.  " Lorsque je cuisine, je me trouve entourée du cocon émotionnel associé à la personne qui m'a appris à préparer un repas particulier ou avec laquelle j'avais l'habitude de le préparer. Rejeter ces fêtes riches en calories, déclarer la guerre à ces aliments, signifie aussi fermer la porte à tous ces grands-parents et grandes-tantes, les laisser seuls, abandonnés. Je me suis sentie vraiment soulagée de les accueillir à nouveau : ma fragile grande-tante Léna qui avait l'habitude de nous servir des festins très élaborés mais qui refusait de s'asseoir à table avec nous, insistant qu'elle préférait manger seule dans la cuisine ; ma grand-mère Kingsolver, dont chaque menu commençait par le dessert ; mon autre grand-mère, célèbre pour ses délicieux petits pains et sa sauce de viande ; mon grand-père Henry qui se servait d'un grenier frais pour affiner ses jambons et ses saucisses aromatiques qu'il faisait lui-même ; mon père qui m'amena d'abord cueillir des champignons puis me donna le goût des asperges sauvages ; ma mère dont la technique particulière pour battre les oeufs les fait décrire une ellipse dans le saladier. Me voici donc là, avec le souvenir de leur bienveillance et de tout ce qu'ils m'ont cuisiné, chose sacrée par-dessus tout. Ici, à faire des conserves de tomates avec Camille, du pain aux oeufs avec Lily. Je me surprends à supplier chaque souvenir de revenir. Revenez, que je vous enlace avec mes maniques".
Preuve irréfutable que cultiver la terre et faire la cuisine ne sont pas des activités arriérées, mais bien au contraire des paris de partage et de renouveau sociétal, des grains de sable qui, tous assemblés, pourraient nous permettre, un jour, qui sait, de changer. Voici le site internet qui correspond au livre : www.animalvegetablemiracle.com