Par Jérôme Latta|Attac FranceLa TTF adoptée hier n’est que l’ombre de la taxe Tobin, elle est même moins ambitieuse que le projet initial de Bruxelles. S’ils nient ce nouveau reniement, François Hollande et Michel Sapin ne sont pas étrangers à un rétrécissement qui fait le bonheur des banques françaises.
Comme pour marquer l’anniversaire de l’élection de François Hollande, c’est ce 6 mai que plusieurs ministres européens des Finances se sont mis d’accord sur une taxation des transactions financières (TTF) a minima. Le rétrécissement, en regard des enjeux et des bénéfices attendus, est bien tout ce qu’il y a de spectaculaire dans une taxe qui ne concernera qu’une dizaine de pays [Autriche, Belgique, Estonie, France, Allemagne, Grèce, Italie, Portugal, Slovaquie et Espagne], et ne s’appliquera aux actions qu’en 2016 tout en épargnant la plupart des produits financiers dérivés – un marché presque exclusivement spéculatif et qui alimente les risques d’un nouveau désastre.
Inefficace et inutile
Thomas Coutrot, porte-parole d’Attac, y voit « l’aboutissement d’une année de manœuvres de la France pour saboter le projet proposé par la Commission européenne en mars 2013. Au lieu de freiner fortement la spéculation et de rapporter 35 milliards d’euros, la TTF européenne n’aura quasiment aucun effet et rapportera dix fois moins. » De son côté, l’ONG Oxfam rappelle qu’elle devait financer la solidarité internationale, qui fera donc aussi les frais de cette « taxe en trompe-l’œil ».Bien qu’il ne s’agisse que de taxer à 0,1% les échanges d’actions et d’obligations et à 0,01% ceux des produits dérivés, le projet suscite l’opposition de plusieurs gouvernements, dont celui du Royaume-Uni qui s’en était exclu et menace de le contester à nouveau devant les juridictions européennes (un premier recours a échoué en avril). Le ministre des Finances luxembourgeois, Pierre Gramegna, a pour sa part regretté que la TTF ne soit« pas bonne pour les marchés de capitaux en Europe », tandis que la Fédération européenne des banques (FBE) déplorait une« taxe sur la croissance ». Mettre en scène leurs victoires comme des défaites, une stratégie ordinaire pour les représentants des intérêts financiers. Faute de connaître le périmètre de la taxe, sur les gigantesques volumes de produits dérivés (estimés à 260 milliards d’euros en Europe au premier trimestre 2014), il ne s’agit que de récriminations préventives.Bercy, succursale des banques
Il faut voir dans cet aboutissement à la fois l’action de la France, qui s’est opposée sur ce dossier à l’Allemagne, favorable à une TTF plus ambitieuse, et l’effet d’un lobbying intensif de l’industrie bancaire et financière (dont la puissance de feu est connue), nos fleurons nationaux étant particulièrement engagés sur les produits dérivés. À l’échelle continentale, ce sont le Medef et son homologue allemand qui ont poussé pour un rétrécissement du projet de directive préconisé il y a deux ans par la Commission. Comme l’écrit Le Monde, « Bercy a tenté, et visiblement réussi, à vider le projet de la Commission de son contenu : Pierre Moscovici n’a pas hésité, dès l’été dernier, à parler d’une "proposition excessive" de la Commission européenne ». Une nouvelle fois, le gouvernement déborde Bruxelles… sur sa droite.Le plus consternant dans ce constat d’échec est probablement que François Hollande comme Michel Sapin trouvent de quoi s’en féliciter. Le premier avait déclaré le matin même que « la finance[avait] été maîtrisée » en évoquant aussi bien la taxe européenne que l’union bancaire ou la séparation des activités bancaires – toutes réformes rendues aussi inoffensives que possible (lire l’interview de Dominique Plihon d’Attac). Le second juge « important de montrer que l’Europe est capable d’avancer et de transformer des idées qui sont là depuis longtemps en actes ». Assumer à ce point ses propres renoncements, en les accompagnant d’un discours mensonger, en dit assez long à la fois sur le positionnement et la volonté politiques du gouvernement, qui font de Bercy une succursale des banques françaises.Sur ce dossier comme sur tous ceux qui devraient engager des choix forts (aussi forts que ceux martelés durant la campagne de 2012), on assiste à un véritable refus de gouverner, au profit d’une simple gestion des intérêts privés.