De quoi peut bien se repentir Pierre Yves Lador? Eh bien il se repent d'avoir été un drogué.
Aurait-il été héroïnomane, cocaïnomane, que sais-je. Que nenni. C'était un drogué... de la patisserie, mais pas de n'importe laquelle. Il fallait qu'elle soit de qualité, ce qui était de plus en plus difficile:
"Nous acceptons de mourir d'overdoses de sucre et de crème double, mais nous le voulons faire avec panache."
Dans les années fastes, avant que la patisserie ne soit plus ce qu'elle était, c'est-à-dire devenue industrielle, c'était douze patisseries qui faisaient l'ordinaire de son pique-nique de midi au bureau...
Il était insatiable alors. Ces années-là il finissait même les restes de ses commensaux, desserts bien sûr, mais également viandes et parfois même accompagnements...
D'où lui venait cette addiction pour le sucre, qui ne fut peut-être pas la première de ses addictions? Il ne le sait pas avec certitude. Peut-être cherchait-il "le cocon matriciel, le sein rare de [sa] mère qui ne donnait pas de lait".
Quoi qu'il en soit, cette addiction pour le sucre le préparait tout naturellement à "l'édulcoration polymorphe" du monde dans lequel il allait vivre.
Un exemple? La langue.
Le monde dans lequel il allait vivre est ainsi un monde tout lisse, une entreprise "d'édulcoration de la langue et à travers elle de la pensée". Un monde dans lequel il allait devoir, au profit de la diction, abandonner son accent vaudois:
"Je me sens chez moi quand j'entends mon accent même si je n'aime hélas pas encore ma voix."
Aussi est-ce sans doute pour exister dans ce monde édulcoré qu'il se livre à l'excès, à l'abus, à des addictions qui ne se limitent pas à celle du sucre, mais dont elles finissent par découler:
"Je passais sans le savoir de la lecture à l'écriture, par le sucré, sous des formes variées selon les époques, l'alcool, le gras, la boulimie, l'anorexie ou plutôt des régimes sévères, des jeûnes, diverses collectionnites ou activités velléitaires ou embryonnaires, solitaires, l'accumulation de livres puis de cassettes vidéo et de dvd et d'objets à valeur ajoutée symbolique, la marche, peut-être la collecte de femmes."
De tout cela, et de bien d'autres choses, il est question dans cette confession, excepté du dernier point parce que ce sont des êtres vivants, qui n'ont rien à voir avec l'ensemble précédent de substances et d'objets, qui en sont la trame. Et parce que, de toute façon, il est d'une pudeur infinie...
Sa manière d'écrire cette confession est bien de Pierre Yves Lador; elle est bien à lui. On lui a beaucoup reproché "d'abuser des mots, trop de mots et trop de jeux avec les mots", mais "c'est sotterie".
Il prend l'exemple des mots intensité et entassement:
"Je réalise que je pratique les deux versants, entassement et intensité d'une figure spatiotemporelle. J'entasse ce que j'intensifie sur le moment. Quand j'avale c'est intense, quand je stocke c'est entassement et je pratique les deux simultanément. La quantité transformée en vitesse, en intensité, en durée, en éternité, en totalité."
Il ajoute:
"L'objectif est de tout être, tenir, traverser, avoir, toujours. Traverser ou se faire traverser par tout. Le mouvement est indissociable. Le dedans et le dehors sont confondus. Le mouvement et l'immobilité, l'instant et l'éternité. Tentative de transformer l'avoir, le faire en être."
Cette manière d'écrire permet de développer la pensée. D'ailleurs, pour sa repentance d'avoir été dans l'excès et l'ascèse, il proclame maintenant, urbi et orbi, ce mot d'ordre:
"Mâchez et digérez."
Est-il étonnant qu'il faille, pour lire Lador, suivre ce précepte, seule voie possible pour ... en extraire la substantifique moelle?
Francis Richard
Confession d'un repenti, Pierre Yves Lador, 240 pages, Olivier Morattel Editeur
Livre précédent:
Chambranles et embrasures, 192 pages, L'Aire