Concerts de proximité
Le festival d’interventions sonores urbaines Les voisins déballe son art dans la ville à coups de micro-interventions à échelle intimiste
L’attrait du festival d’interventions sonores urbaines Les voisins tient dans le paradoxe de sa proposition. De festival, il n’a que le nom et aucunement l’ampleur spectaculaire. Son échelle est plutôt celle de la proximité et du quotidien, à coups de concerts inusités, logés discrètement dans un salon de coiffure, dans un appartement ou dans un boisé animé de carouges à épaulettes.
L’événement s’est amorcé sans tintamarre, en mars. Les communiqués du commissaire Éric Mattson arrivaient un à un par courriel, annonçant des concerts ponctuels, tous aussi intrigants les uns que les autres. Ici et là dans la ville, à des heures et à des endroits inhabituels, ces concerts se sont d’abord avérés difficiles à suivre. Sans la bonne volonté de Jonathan Villeneuve et d’Alexis Bellavance, qui ont proposé de refaire une performance donnée en avril, je n’aurais pas eu droit au concert de leur installation électromécanique. Machine en deux temps est une invention de leur cru, greffée à l’atelier qu’ils partagent depuis près de trois ans. Les deux complices en sont à leur premier projet de collaboration dans lequel ils combinent un inventaire impressionnant d’objets et d’instruments. Trouvées ou fabriquées, les composantes (grosses et petites flûtes d’orgue, tambours, soufflet, table d’harmonie de piano et boîtes à tonnerre) sont assemblées dans un « dispositif de performance sonore ».
En l’activant, ils plongent le lieu dans un imaginaire sonore insoupçonné. « C’est une métaphore de ce qui se passe à l’atelier », résume Bellavance. L’idée prend corps quand des images projetées de caméra de surveillance donnent à voir le duo en action, jusque-là caché du regard. Vêtus de couvre-tout de travail, l’un tourne une manivelle, l’autre opère sur le clavier d’un ordinateur. À cette machine qui les a eux-mêmes surpris dans son évolution, les artistes apporteront des ajustements avec l’intention de tenir d’autres concerts. Bon voisinage Existant en amont comme en aval des Voisins, le projet de Villeneuve-Bellavance est un« cas singulier », dont la présence est « circonstancielle », précise Éric Mattson, rencontré dans un café de Villeray le jour où se tenait le huitième concert de l’événement, sur les 35 prévus d’ici la fin du mois de juin. L’instigateur des Voisins, spécialisé dans les arts sonores et médiatiques, rappelle son désir de présenter des projets simples, tout en amenant les artistes à travailler dans des circonstances différentes. Ils ont été nombreux à accepter l’invitation « de faire ce qu’ils veulent, quand ils veulent et où ils veulent », avec pour directive d’opérer dans leur voisinage. « Je me suis dit qu’en leur donnant ce genre de direction, ils allaient être obligés de faire quelque chose de très intime, de très proche d’eux, de très sensible. » Ce qui s’avère dans la plupart des projets menés, où le mot « voisin » finit par avoir une portée variée. Au plus près de la simplicité visée, le projet de Daniel Olson, très conceptuel, a pointé d’un seul énoncé le chant remarquable des carouges à épaulettes près de chez lui. La proposition de Jean-Sébastien Truchy et de Charles Barabé, qui ont projeté une vidéo expérimentale dans un club vidéo fréquenté régulièrement par l’un d’eux, allait aussi dans le sens de priser le quartier, quittes à passer inaperçu et à rester dans l’anonymat.
Ici, comme dans ses projets antérieurs mettant en relations la ville, le son et l’architecture (Les fantômes des espaces publics et Les fantômes des terrains vagues), M. Mattson privilégie les interventions hors des murs institutionnels. Si la formule n’est pas nouvelle, elle insiste avec Les voisins sur un art de proximité éloigné du centre-ville, là où la tendance en arts médiatiques et sonores consacre plutôt les grands déploiements, comme avec le Printemps numérique.
Les micro-concerts programmés par Les voisins ne s’adressent peut-être pas tant aux spectateurs avisés qui cherchent à les suivre qu’à des publics inattendus qui sont rejoints dans leur quotidien. C’est une des belles surprises qu’a eues le commissaire en découvrant qu’y assistaient de « vrais voisins », pour qui l’intervention des artistes pouvait avoir « un impact social » dans leur entourage immédiat. C’est l’expérience faite aussi par le duo Catherine Béchard et Sabin Hudon, qui avant l’heure prévue ont vu leurs casques d’écoute ostentatoires prisés par les passants, curieux de cheminer dans la ville tout ouïe, à la différence des plus discrets, et populaires, lecteurs MP3, qui coupent les bruits ambiants.
Francis Rossignol a choisi comme site d’intervention un salon de coiffure. Avec la complicité de coiffeuses, il a, pour des personnes volontaires, transformé une coupe de cheveux en expérience hors de l’ordinaire, cherchant à valoriser les sons de cette activité jugée banale et trop peu écoutée.
Concerts d’appartement
Plusieurs autres interventions sont à venir, par des artistes plus ou moins déjà associés aux pratiques sonores. Bélinda Campbell et cinq musiciens improviseront, répartis dans les différentes pièces d’un 4 1/2. Les projets de Chantal Dumas et de Victoria Stanton épouseront quant à eux la forme de la déambulation, la première pour découvrir les textures sonores de son quartier, l’autre pour écouter en groupe les abords du fleuve Saint-Laurent. Le point de départ du projet de Magali Babin se trouve derrière chez elle, où l’activité sonore des taxis Diamond imprègne chacune de ses journées. Il est également question que Michel de Broin arpente avec un vélo modifié les rues de New York, où il est présentement en résidence de création. Éric Mattson est particulièrement fier de recevoir à Montréal le Chinois Yan Jun, qui, outre des journaux sonores, réalisera des concerts d’appartements durant le mois de mai. « C’est une de mes sources d’inspiration. À Pékin, c’est difficile pour les gens en musique expérimentale de se produire en salle. Depuis des années, il fait des concerts en appartements, souvent avec des casques d’écoute pour quelques personnes. » De là sont habilement contournés les problèmes de promiscuité avec les voisins, nombreux, et la petitesse des appartements chinois. Celui qui, comme urbain, dit avoir également été motivé par ses voisins, « admirables ou chiants » au fil du temps, s’attendait au début à présenter des projets durs. Or« aucun artiste n’a vu ça de façon négative. Certaines personnes auraient pu faire ça sur leur difficulté de voisinage, mais ce n’est pas arrivé. C’est dire que les gens ici ont un bon fond ». Plus, à tout le moins, que les personnages qui s’entretuent dans l’oeuvre de Norman McLaren, cinéaste expérimental dont le centenaire est célébré cette année et à qui le titre Les voisins rend par ailleurs hommage.
Sources : http://www.ledevoir.com/
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