LE PARAPLUIE (d'après Maupassant)
Le ménage Ducret habitait Nantes.
Albertine était regardante.
Elle avait horreur de dépenser.
Depuis des années,
René, son mari, se rendait au bureau
Avec un parapluie rapiécé.
Tous ses collègues se gaussaient !
Un jour, exaspéré, il demanda à Albertine
D’en acheter un nouveau,
Et en soie fine !
…Elle se procura une fin de série !
Au bureau, on se moqua encore de René.
Il demanda à sa femme de trouver
Un parapluie de qualité
Même si elle devait le payer
Vingt francs.
Albertine en trouva un à dix-huit francs.
-« Avec celui-là, tu en as pour cinq ans. »
Au bureau, cette fois-ci Ducret
Obtint un franc succès.
Il en fut très content.
En fin d’après-midi,
Quand il rentra chez lui,
Albertine jeta un regard sur le parapluie :
-« Il faut ôter l’élastique, tu vois
Sinon il va couper la soie.
Veilles-y,
Car tu n’en auras pas un autre de sitôt ! »
Elle prit le pépin, dégrafa l’anneau,
Secoua les plis,
…Et demeura saisie :
Elle vit un trou
Gros comme un sou
En plein milieu du riflard :
Une brûlure de cigare !
Elle balbutia :
-« Qu’est-ce que cela ?
Tu…tu l’as brûlé.
Mais tu es cinglé !
Tu veux nous ruiner ! »
-« Je te jure ; je n’ai rien fait. »
Le lendemain matin,
Ducret partait
Avec un instrument… raccommodé.
Au soir, à peine était-il rentré chez lui
Qu’Albertine saisit le pépin
Et l’ouvrit…
Il était criblé de petites brûlures.
René le reçut en pleine figure !
-« Puisque nous sommes assurés
Contre l’incendie,
Eh bien, demain, j’irai
À la compagnie
Me faire rembourser ! »
Le lendemain, d’un pas pressé,
Albertine se rendit rue de Rivoli
Au siège de la Compagnie :
-« Je viens pour ceci… :
Ce parapluie
M’a coûté vingt-six francs. »
-« Tant que ça, vraiment ? »
-« Constatez son état.
Il est brûlé, regardez ! »
-« Ce type de sinistre ne nous concerne pas. »
-« Je viens vous réclamer le prix de ce dégât. »
Et dans la crainte d’un refus, elle ajouta :
-« Vous pouvez simplement le faire recouvrir… »
-« Je voudrais bien répondre à votre désir
Mais nous ne sommes pas marchands de parapluies. »
-« Alors, pour une réparation,
Quel serait votre prix ? »
-« Je ne sais pas, non. »
-« J’accepte même
D’effectuer le raccommodage moi-même ? »
-« Nous ne remboursons pas les accidents
Si peu importants. »
-« Voulez-vous savoir comment ça s’est passé ?... »
L’assureur voulant en finir, demanda :
-« Vous estimez
À combien ce dégât ? »
-« Je m’en rapporte à vous…
Je ne veux pas gagner sur vous… »
-« Tenez, puisque vous insistez
Voici un mot pour notre caissier.
Vous n’aurez qu’à lui apporter la facture. »
Albertine saisit le parapluie
Remercia, se leva, et sortit
Sans un murmure,
Ayant hâte d’être à l’extérieur
De crainte que l’assureur
Ne change d’avis.
…Et elle se précipita
Chez le premier marchand de parapluies
Qu’en chemin elle trouva.