Publié le 09/05/2014 par thomas brosset
L’eau de la Charente et l’air qu’on respire tout autour sont infectés par les pesticides utilisés par l’agriculture. Le tronçon d’Angoulême à Cognac en tête
Photo archives Sud OuestLe bonnet d'âne, ni plus ni moins. Avec 6,52 microgrammes de pesticides par litre d'eau, le fleuve Charente est considéré comme le plus pollué de France, dans le tronçon compris entre le confluent des Eaux-Claires et celui du Né, soit grosso modo entre Angoulême et Cognac.
« Il y a longtemps que l’on sait »Le chiffre est éloquent : trois fois supérieur au deuxième cancre de la classe aquatique, la Sèvre nantaise (2,86 μg/l). À noter qu'au-dessus du seuil de 5 μg/l, l'eau est considérée comme non potable, même après traitement. Réalisée par les agences de l'eau pour le ministère de l'Écologie (1), cette cartographie met également en évidence la pollution des nappes phréatiques. Et là encore, le secteur du bassin de la Charente figure en rouge sur la carte de France, dépassant la norme de 0,5 μg/l fixée par la Directive-cadre sur l'eau (DCE).Benoît Biteau, président de la commission ruralité, agriculture et pêche à la Région, qui se veut « Terre saine », ne s’étonne pas du tout des teneurs en pesticides de la Charente. « Il y a longtemps qu’on sait et qu’on dénonce. Mais que peut-on faire avec les 11,5 M€ pour accompagner les projets d’une agriculture différente face aux 660 M€ que la PAC (Politique agricole commune) distribue chaque année, encourageant une agriculture intensive, donc dévoreuse de pesticides. 660 M€, c’est 10 M€ de plus que le budget total de la Région. »Tout est liéBenoît Biteau, élu radical de gauche, éleveur de vaches maraîchines, mène une croisade depuis vingt ans pour une agriculture plus respectueuse des milieux naturels : « Dans l’histoire de la pollution de la Charente, je ne voudrais pas qu’on désigne comme coupables les seuls viticulteurs. Les maïsiculteurs ont leur part de responsabilité. Et puis, il y a eu la mauvaise gestion des vocations territoriales, la réduction des prairies d’élevage, l’assèchement pour évacuer l’eau plus vite au printemps et faire de grandes cultures. On a effacé toutes les zones où on pouvait stocker de l’eau et avec l’utilisation des substances de synthèse, on en est venu à cette gestion catastrophique des milieux. Les conséquences, on les trouve à tous niveaux : dans l’eau de la Charente aujourd’hui, avec cette pollution record, et dans les phénomènes de mortalité des huîtres, des moules et des coquilles Saint-Jacques à l’embouchure de la Charente. Et qu’on ne me dise pas que ça n’a rien à voir. Tout est lié. »Et l’agriculteur de Sablonceaux de souligner que la France est le troisième utilisateur mondial de pesticides, derrière les États-Unis et la Chine : « En valeur relative, notre pays est champion du monde. Et si on ajoute que la Charente est le fleuve le plus pollué de France, on mesure mieux la gravité des faits. De toute façon, il y a une cote réglementaire. On va se faire épingler par la commission européenne. »Dans le collimateur de Benoît Biteau, la FNSEA (1), premier syndicat agricole : « Il fait de la résistance à toutes les initiatives pour assainir la profession. La directive nitrates a 23 ans. Cela fait vingt-trois ans que la FNSEA dit que des efforts sont faits pour réduire les intrants. Et pourtant, les statistiques du ministère montrent que l’utilisation de produits phytosanitaires continue de progresser de 2 % par an ».Th. B.(1) Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles. L'air aussiEt s'il n'y avait que l'eau. Mais l'agence Atmo, qui mesure la qualité de l'air en Poitou-Charentes, a aussi montré, lors d'une étude comparative menée en 2012, que les quantités de molécules de fongicides en suspension dans l'air sont, en moyenne, 18 fois supérieures au cœur du petit village viticole de Juillac-le-Coq, près de Cognac, qu'au centre de Poitiers. Notamment au cours de l'été, où les traitements s'avèrent les plus importants. Les viticulteurs de Juillac-le-Coq avaient participé activement à la lutte contre la flavescence dorée.L'agence Atmo notait également la présence de six molécules interdites d'utilisation, dont un insecticide, le Lindane, sorti du marché depuis 1998. Ceci prouvant la puissante rémanence de ces produits. L'atrazine, dont l'utilisation est interdite depuis 2003, est toujours très présente dans les analyses.Des chiffres à mettre en corrélation avec l'étude écologique réalisée au Centre hospitalier universitaire de Poitiers en 2011, qui montre « une surmortalité significative de la population habitant dans les vignobles de 29 % pour la maladie de Parkinson et de 19 % pour les lymphomes ».Les premières victimes des pesticides sont ceux qui les utilisent : les viticulteurs. Et c'est bien de Charente qu'est partie l'association nationale Phyto-victimes, qui a brandi l'étendard de la révolte contre le « tout-pesticide » qui tue. Frédéric Ferrand, Yannick Chenet, tous deux viticulteurs saintongeais, ont payé le prix fort : ils en sont morts. L'Agence nationale de sécurité sanitaire a mené une étude entre 2001 et 2005. Elle montre que le pesticide le plus utilisé en France était le soufre. Celui qui traite la vigne et les arbres fruitiers.« Et on attend quoi maintenant ? Tout le monde connaît le problème et rien n'est fait. Faut-il qu'il y ait dépôt de plainte sur dépôt de plainte pour que les choses avancent ? », s'interroge Patrick Picaud, coordinateur de l'association Nature environnement 17.Qui paie la redevance ?Dire que rien n'est fait est sans doute un peu exagéré puisque l'utilisation de pesticides dans les vignes, qui a atteint un pic au début des années 2000, est en sensible régression. De 2001 à 2005, les viticulteurs ont baissé de plus d'un tiers leur consommation de soufre. Mais on est loin d'atteindre l'objectif « Terre saine » que s'est fixé la Région. Et le rapport, mis en ligne par le ministère de l'Écologie (désormais sous la responsabilité de l'ex-présidente de Région) qui voulait atteindre l'excellence environnementale, fait tache dans le paysage picto-charentais. « Il ne faut pas croire que la pollution de la Charente ne concerne que les riverains du fleuve, 40 % de l'eau du robinet des Rochelais vient de l'usine de traitement de Coulonges sur la Charente. Les citadins sont concernés. Et qui paie la redevance sur le traitement de l'eau ? Les citoyens pour 80 %. L'agriculture ne cotise qu'à hauteur de 5 à 6 %. Cherchez l'erreur », poursuit Patrick Picaud.(1) www.statistiques.developpement- durable.gouv.fr« L’héritage du passé »« Quand je vois qu’il y a encore des traces d’atrazine, dont l’utilisation est interdite depuis plus de dix ans, je me dis qu’on paie là les erreurs d’hier. C’est l’héritage du passé. Des efforts considérables sont faits pour limiter les intrants, mais il faut du temps pour que ces efforts paient. » Luc Servant, président de la Chambre régionale d’agriculture, de la Chambre d’agriculture de la Charente-Maritime et céréalier lui-même, ne nie pas les chiffres révélés par les agences de l’eau et le lien avec la profession agricole, mais il insiste sur la conversion engagée par le monde paysan en Poitou-Charentes.« Nous travaillons avec la Région sur le projet Ressources, le plan éco-phyto. Cette politique va dans le bon sens. Il faut absolument qu’on avance. Peut-être plus vite, car le bassin de la Charente est regardé de très près. »
- e bonnet d'âne, ni plus ni moins. Avec 6,52 microgrammes de pesticides par litre d'eau, le fleuve Charente est considéré comme le plus pollué de France, dans le tronçon compris entre le confluent des Eaux-Claires et celui du Né, soit grosso modo entre Angoulême et Cognac.PublicitéLe chiffre est éloquent : trois fois supérieur au deuxième cancre de la classe aquatique, la Sèvre nantaise (2,86 μg/l). À noter qu'au-dessus du seuil de 5 μg/l, l'eau est considérée comme non potable, même après traitement. Réalisée par les agences de l'eau pour le ministère de l'Écologie (1), cette cartographie met également en évidence la pollution des nappes phréatiques. Et là encore, le secteur du bassin de la Charente figure en rouge sur la carte de France, dépassant la norme de 0,5 μg/l fixée par la Directive-cadre sur l'eau (DCE).« Il y a longtemps que l’on sait »Benoît Biteau, président de la commission ruralité, agriculture et pêche à la Région, qui se veut « Terre saine », ne s’étonne pas du tout des teneurs en pesticides de la Charente. « Il y a longtemps qu’on sait et qu’on dénonce. Mais que peut-on faire avec les 11,5 M€ pour accompagner les projets d’une agriculture différente face aux 660 M€ que la PAC (Politique agricole commune) distribue chaque année, encourageant une agriculture intensive, donc dévoreuse de pesticides. 660 M€, c’est 10 M€ de plus que le budget total de la Région. »Tout est liéBenoît Biteau, élu radical de gauche, éleveur de vaches maraîchines, mène une croisade depuis vingt ans pour une agriculture plus respectueuse des milieux naturels : « Dans l’histoire de la pollution de la Charente, je ne voudrais pas qu’on désigne comme coupables les seuls viticulteurs. Les maïsiculteurs ont leur part de responsabilité. Et puis, il y a eu la mauvaise gestion des vocations territoriales, la réduction des prairies d’élevage, l’assèchement pour évacuer l’eau plus vite au printemps et faire de grandes cultures. On a effacé toutes les zones où on pouvait stocker de l’eau et avec l’utilisation des substances de synthèse, on en est venu à cette gestion catastrophique des milieux. Les conséquences, on les trouve à tous niveaux : dans l’eau de la Charente aujourd’hui, avec cette pollution record, et dans les phénomènes de mortalité des huîtres, des moules et des coquilles Saint-Jacques à l’embouchure de la Charente. Et qu’on ne me dise pas que ça n’a rien à voir. Tout est lié. »Et l’agriculteur de Sablonceaux de souligner que la France est le troisième utilisateur mondial de pesticides, derrière les États-Unis et la Chine : « En valeur relative, notre pays est champion du monde. Et si on ajoute que la Charente est le fleuve le plus pollué de France, on mesure mieux la gravité des faits. De toute façon, il y a une cote réglementaire. On va se faire épingler par la commission européenne. »Dans le collimateur de Benoît Biteau, la FNSEA (1), premier syndicat agricole : « Il fait de la résistance à toutes les initiatives pour assainir la profession. La directive nitrates a 23 ans. Cela fait vingt-trois ans que la FNSEA dit que des efforts sont faits pour réduire les intrants. Et pourtant, les statistiques du ministère montrent que l’utilisation de produits phytosanitaires continue de progresser de 2 % par an ».Th. B.(1) Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles. L'air aussiEt s'il n'y avait que l'eau. Mais l'agence Atmo, qui mesure la qualité de l'air en Poitou-Charentes, a aussi montré, lors d'une étude comparative menée en 2012, que les quantités de molécules de fongicides en suspension dans l'air sont, en moyenne, 18 fois supérieures au cœur du petit village viticole de Juillac-le-Coq, près de Cognac, qu'au centre de Poitiers. Notamment au cours de l'été, où les traitements s'avèrent les plus importants. Les viticulteurs de Juillac-le-Coq avaient participé activement à la lutte contre la flavescence dorée.L'agence Atmo notait également la présence de six molécules interdites d'utilisation, dont un insecticide, le Lindane, sorti du marché depuis 1998. Ceci prouvant la puissante rémanence de ces produits. L'atrazine, dont l'utilisation est interdite depuis 2003, est toujours très présente dans les analyses.Des chiffres à mettre en corrélation avec l'étude écologique réalisée au Centre hospitalier universitaire de Poitiers en 2011, qui montre « une surmortalité significative de la population habitant dans les vignobles de 29 % pour la maladie de Parkinson et de 19 % pour les lymphomes ».Les premières victimes des pesticides sont ceux qui les utilisent : les viticulteurs. Et c'est bien de Charente qu'est partie l'association nationale Phyto-victimes, qui a brandi l'étendard de la révolte contre le « tout-pesticide » qui tue. Frédéric Ferrand, Yannick Chenet, tous deux viticulteurs saintongeais, ont payé le prix fort : ils en sont morts. L'Agence nationale de sécurité sanitaire a mené une étude entre 2001 et 2005. Elle montre que le pesticide le plus utilisé en France était le soufre. Celui qui traite la vigne et les arbres fruitiers.« Et on attend quoi maintenant ? Tout le monde connaît le problème et rien n'est fait. Faut-il qu'il y ait dépôt de plainte sur dépôt de plainte pour que les choses avancent ? », s'interroge Patrick Picaud, coordinateur de l'association Nature environnement 17.Qui paie la redevance ?Dire que rien n'est fait est sans doute un peu exagéré puisque l'utilisation de pesticides dans les vignes, qui a atteint un pic au début des années 2000, est en sensible régression. De 2001 à 2005, les viticulteurs ont baissé de plus d'un tiers leur consommation de soufre. Mais on est loin d'atteindre l'objectif « Terre saine » que s'est fixé la Région. Et le rapport, mis en ligne par le ministère de l'Écologie (désormais sous la responsabilité de l'ex-présidente de Région) qui voulait atteindre l'excellence environnementale, fait tache dans le paysage picto-charentais. « Il ne faut pas croire que la pollution de la Charente ne concerne que les riverains du fleuve, 40 % de l'eau du robinet des Rochelais vient de l'usine de traitement de Coulonges sur la Charente. Les citadins sont concernés. Et qui paie la redevance sur le traitement de l'eau ? Les citoyens pour 80 %. L'agriculture ne cotise qu'à hauteur de 5 à 6 %. Cherchez l'erreur », poursuit Patrick Picaud.(1) www.statistiques.developpement- durable.gouv.fr« L’héritage du passé »« Quand je vois qu’il y a encore des traces d’atrazine, dont l’utilisation est interdite depuis plus de dix ans, je me dis qu’on paie là les erreurs d’hier. C’est l’héritage du passé. Des efforts considérables sont faits pour limiter les intrants, mais il faut du temps pour que ces efforts paient. » Luc Servant, président de la Chambre régionale d’agriculture, de la Chambre d’agriculture de la Charente-Maritime et céréalier lui-même, ne nie pas les chiffres révélés par les agences de l’eau et le lien avec la profession agricole, mais il insiste sur la conversion engagée par le monde paysan en Poitou-Charentes.« Nous travaillons avec la Région sur le projet Ressources, le plan éco-phyto. Cette politique va dans le bon sens. Il faut absolument qu’on avance. Peut-être plus vite, car le bassin de la Charente est regardé de très près. »La Charente à Cognac. Derrière la carte postale, un constat inquiétant.© PHOTO ARCHIVE ANNE LACAU
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