Personnellement, je n’ai jamais participé à une manifestation recouvert du moindre masque ou de la moindre cagoule. Il n’y a pas de quoi en être fier et encore moins d’en avoir honte. C’est comme ça, c’est mon choix.
Par contre, la loi mise en consultation par le Conseil d’Etat vaudois qui vise à interdire le port des masques et cagoules lors de certaines manifestations me laisse sceptique. Elle me laisse sceptique quant à son opportunité, à son efficacité et à sa mise en œuvre. En voici sa teneur.
Art. 17 MANIFESTATIONS
1 Lors de manifestations impliquant un usage accru du domaine public, est interdit le port :
a. de toute tenue vestimentaire ou de tout autre équipement propre à empêcher l’identification, tels que masques, cagoules, casques ou tout autre dispositif ayant pour effet de dissimuler le visage,
b. de tout objet propre à porter atteinte à l’intégrité corporelle ou à causer un dommage matériel, notamment les objets piquants, tranchants, contondants, explosibles ou projetant des substances.
2 La Police cantonale peut autoriser des exceptions en rapport avec le but de la manifestation.
3 Le matériel porté ou utilisé en violation de l’interdiction peut être séquestré par la Police cantonale.
4 Quiconque contrevient au présent article est passible de l’amende.
5 La négligence, la tentative et la complicité sont punissables.
Première remarque : dans son exposé des motifs, le Conseil d’Etat «part du constat que les perturbateurs visés ont pour usage de se dissimuler le visage avant de passer à l’action». La photo ci-contre qui a été prise lors de la manifestation «anti-Blocher» du 18 septembre dernier est là pour illustrer mes doutes à propos de ce constat. Mon expérience personnelle me montre aussi que certains n’hésitent pas, dans le feu de l’action, à se laisser aller, masqué ou non.
Deuxième remarque : si ce constat est valable, le travail de la police est grandement simplifié. D’un point de vue tactique, il suffit d’avoir à l’œil celles et ceux qui portent un masque pour pouvoir les cueillir à la première incartade. Pourquoi dans ces conditions vouloir interdire le port de ces stigmates révélateurs et se priver d’un indice permettant de mieux cibler l’action policière ?
Toujours du point de vue tactique, interdire le port de masques, de cagoules, de foulards, de lunettes à soleil, de perruques, de nez rouges … - la liste sera difficile à établir – risque bien de se révéler difficile à faire respecter. En effet, que fera la police à la vue de manifestants plus ou moins masqués ? Les arrêtera-t-elle sur le champ avec le risque de mettre le feu aux poudres sans raison ? C’est en tout cas ce qu’a estimé le canton des Grisons qui a renoncé à cette interdiction pour éviter une escalade de la violence. Et, reconnaissons-le, le canton des Grisons sait de quoi il parle puisqu’il accueille chaque année le World Economic Forum.
Le quatrième problème a été soulevé par la Ligue Suisse des Droits de l’Homme dans sa réponse à la consultation du projet de loi genevois allant dans le même sens :
Les libertés de communication couvrent également certaines formes d’expression non verbales, lorsqu’elles sont porteuses d’un message déterminé. Il en va ainsi, par exemple, des camouflages (ATF 117 Ia 472). Par conséquent, le droit cantonal ne saurait purement et simplement interdire le port de masques. De plus, ce dernier peut correspondre à un besoin légitime de protection de la sphère intime, empêchant qu’un manifestant puisse être reconnu par son employeur. Dans une période de crise économique avec un taux de chômage élevé, ce besoin de protection est particulièrement élevé.
Pour terminer, un dernier petit détail qui ne fait qu’ajouter à mon scepticisme : pour quelle raison les manifestants devraient-ils être identifiables en tout temps alors que les forces de police engagée lors de manifestations sont dispensées du port de leur numéro de matricule ?
- Crédit image : photographie empruntée pacifiquement à ©Keystone.