Il y a bientôt six siècles, le 6 juillet 1415, Jean Huss finissait sur le bûcher pour hérésie.
Dans sa préface, Mgr Paul-Marie Guillaume, évêque émérite de Saint-Dié, écrit:
"Nous ne devons pas juger les événements douloureux de cette époque tourmentée à l'aune de notre culture moderne."
Il n'empêche que si nous ne devons pas juger cette époque tourmentée à l'aune de notre culture moderne, il faut se réjouir de l'heureux chemin parcouru par la justice religieuse en six siècles, même si elle reste imparfaite, comme toute institution humaine.
Mgr Guillaume parle à raison d'époque tourmentée.
Le contexte est celui du Grand Schisme d'Occident (1378-1417), qui voit l'élection, en 1378, de deux papes rivaux, soutenus par des Etats rivaux, l'un à Rome, l'autre en Avignon, puis l'élection d'un troisième lors du concile de Pise, en 1409, au cours duquel celui résidant à Rome est déposé.
Le contexte est celui de l'apparition de réformateurs, Jean Wiclif en Angleterre, puis Milic de Kromeris, Mathias de Janov et Thomas de Stiné en Bohême. Ces réformateurs reprochent à l'Eglise le contraste entre ce qu'elle est et ce qu'elle devrait être; ils prônent l'abandon des biens matériels par l'Eglise; ils demandent de revenir aux Saintes Ecritures.
Aimé Richardt préfère parler de réformistes à propos de Milic, de Mathias et de Thomas, plutôt que de réformateurs, parce qu'ils ne mettent pas en cause, comme Wiclif, l'autorité du pape.
Jean Huss, prêtre tchèque, est dans la lignée de ces trois réformistes tchèques et subit l'influence de Wiclif, sans qu'il ne soit possible pour autant de confondre ses positions avec les siennes.
Si, jusqu'en 1410, la théologie de Jean Huss est de la plus haute catholicité, il ne se prive pas de dénoncer la luxure, la cupidité et l'orgueil du clergé de son temps. Lequel n'apprécie pas et va chercher et obtenir sa perte.
Après avoir été excommunié pour ne pas s'être présenté devant le pape Jean XXIII à Bologne, Jean Huss s'en prend à la croisade que ce dernier lance contre Ladislas de Hongrie, protégé de son rival de Rome, Grégoire XII, et attaque les indulgences papales qui y sont annexées.
S'il est accusé faussement sur sa doctrine eucharistique, Jean Huss est accusé justement d'être un fauteur de troubles. Convoqué à Rome en 1412, il ne se présente pas davantage que la première fois et se voit infliger l'excommunication majeure.
Jean Huss, confiant dans les sauf-conduits délivrés par l'empereur Sigismond, se rend à Constance, en novembre 1414, pour se justifier devant le Concile, réuni dans cette ville pour recoller les morceaux de l'Eglise déchirée. En fait, au bout d'un peu plus de trois semaines, il est arrêté, et l'empereur ne pourra rien contre cette arrestation.
Au cours des interrogatoires, à la surprise de ses interrogateurs, Jean Huss se démarque d'un grand nombre des positions radicales de Wiclif, alors qu'"on leur avait garanti que la doctrine de Huss et celle de Wiclif n'étaient qu'une seule et même chose".
Dans le même temps, le pape Jean XXIII est acculé à la démission par le Concile en raison de ses moeurs et habitudes indignes d'un pape: il est simoniaque, scandaleux et perturbateur de la foi...
Les Pères conciliaires condamnent les oeuvres de Wiclif. Ce faisant, ils condamnent Jean Huss avant même que n'ait lieu son procès. Qui est une véritable parodie de justice puisqu'il se déroule en son absence jusqu'à l'intervention de l'empereur Sigismond... et puisque ses juges ont naguère baisé les pieds de Jean XXIII en l'appelant saint père...
Jean Huss se défend alors pied à pied. Ce qui n'empêche pas la condamnation au feu de ses écrits, sa dégradation (réduction à l'état laïc) et son abandon au bras séculier, c'est-à-dire sa condamnation au bûcher:
"Alors qu'on le conduit au supplice, il répète qu'il meurt pour des erreurs qu'on lui a faussement attribués."
Ce qui est vrai...
Mais il est vrai aussi qu'il a été condamné pour d'autres erreurs, bien réelles celles-là, telles que la croyance en la prédestination et en la prééminence de l'Ecriture sur la Tradition des Pères et des Conciles, et la négation du mérite des oeuvres...
Ce sont ces erreurs, pour un catholique, qui permettent de dire que Jean Huss est un précurseur de Martin Luther, qui ne cachait pas son admiration pour le religieux tchèque:
"Si un tel homme doit être considéré comme hérétique, alors personne ne peut être tenu pour un véritable chrétien."
Mgr Guillaume dit encore dans la préface de ce livre:
"Aujourd'hui Jean Huss ne connaîtrait sans doute pas le même sort tragique. Sa personnalité spirituelle ne comportait pas que des défauts."
Jean Huss ne connaîtrait effectivement pas le même sort tragique, et c'est heureux. Cela montre l'heureuse évolution de l'Eglise et de la justice humaine dans nos pays aux racines chrétiennes.
Le mérite du livre d'Aimé Richardt, qui explique sans se permettre de juger, est de montrer que Jean Huss, au-delà de sa violence verbale, qui entraîna souvent la violence physique de ses partisans, avait une personnalité spirituelle comportant de réelles qualités, comme l'attestent ses dernières paroles sur le bûcher:
"Dieu m'est témoin que... mon intention première dans ma prédication et tous mes actes était d'arracher les hommes au péché. Je suis prêt à mourir avec joie dans la vérité de l'Evangile que j'ai écrite, enseignée et prêchée d'après la tradition des Saints Docteurs."
Francis Richard
Jean Huss précurseur de Luther (1370-1415), Aimé Richardt, 220 pages, François-Xavier de Guibert
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La vérité sur l'affaire Galilée
Saint François de Sales et la Contre-Réforme