Je ne sais trop, ma foi, ce que nous pouvions faireAvant de nous aimer: n'étions-nous donc sevrés?Nous paissions-nous, enfants, de plaisirs terre à terre?Ou chez les Sept Dormants étions-nous à ronfler?Certes: ce plaisir seul ne fut imaginé,Et si jamais je vis et désirai beautéEt la pris, c'est alors que de toi je rêvai.Et maintenant, bonjour, nos âmes qui s'éveillent,Et qui de crainte encor ne s'osent regarder:Car Amour tient l'amour de toute autre merveilleEt fait d'une chambrette un univers entier.Qu'aillent navigateurs vers des mondes nouveaux,Que cartes fassent voir des mondes tant et trop:Soyons monde chacun, nul autre ne nous faut.Nos visages l'un et l'autre en nos yeux se reflètent,Sur nos visages sont nos coeurs simples et francs;Où mieux qu'ici trouver mappemonde parfaiteSans l'âpreté du Nord, le déclin du Couchant?Ce qui meurt est le fruit d'un mélange mal fait:N'ayant qu'un seul amour, ou si bien partagéQue nul ne peut faiblir, nous ne mourrons jamais.
John Donne, Le bonjour, dans: Poèmes - édition bilingue (coll. Poésie/Gallimard, 1991)
traduit de l'anglais par Jean Fuzier et Yves Denis
image: Elisabeth Vigée Le Brun, Autoportrait (passionlectures.wordpress.com)