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Lucio Fontana: rétrospective au Musée d’art moderne de la Ville de Paris

Publié le 08 mai 2014 par Jsbg @JSBGblog

Lucio Fontana: rétrospective au Musée d’art moderne de la Ville de Paris

Printemps parisien oblige, me voici de retour avec la dernière exposition du Musée d’art moderne de la Ville de Paris : la rétrospective Lucio Fontana (1899-1968)…encore une exposition que je n’aurais raté pour rien au monde, car ce n’est pas tous les jours que nous avons l’occasion de parcourir cette œuvre « hétérodoxe », de revivre ce passionnant moment de l’art moderne.

Les « buchi » (1949) mais plus encore les « tagli »(1958) de Lucio Fontana sont aujourd’hui devenus des icônes de l’art moderne, et donc l’emblème de tout l’œuvre de l’artiste, une œuvre pourtant polymorphe qui ne s’arrête de loin pas là et qui, loin des clichés chronologiques, dépasse autant le débat abstraction-figuration que la hiérarchisation des genres − épuisant les notions mêmes d’avant-garde ou de tradition, à l’image du véritable sentiment moderne.

Lucio Fontana: rétrospective au Musée d’art moderne de la Ville de Paris

« Scultura spaziale », 1947

Revenons aux origines. Né en Argentine, Lucio Fontana s’installe à Milan en 1927 pour étudier la sculpture aux côtés du sculpteur symboliste Adolfo Wildt. Il ne deviendra peintre qu’a la fin des années 1940, sans jamais renier la sculpture. De la sculpture, il gardera toujours ce rapport à l’expérimentation du matériau et des techniques, et il trouvera dans la céramique la possibilité de dépasser les contraintes de la matière même. Il garde aussi de cette première formation, cette vision globale de l’espace…la toile chez Lucio Fontana devient sculpture…ou geste devrais-je dire, par fidélité aux propos de l’artiste : « l’art restera en tant que geste, mais mourra comme matière » (Premier manifeste spatialiste).

De retour en Argentine pendant la Seconde Guerre mondiale (1940-1946), il contribuera sans le signer au « Manifiesto blanco », élaboré par des étudiants, jeunes artistes et intellectuels. Il revient à Milan en 1947 où il cosignera le premier manifeste spatialiste – il n’en existera pas moins de cinq entre 1947 et 1952.

À ce stade, autorisez-moi une petite parenthèse sur l’histoire du manifeste pictural, que l’on peut faire remonter au « Manifeste futuriste » de Filippo Tommaso Marinetti, publié le 20 février 1909 dans « Le Figaro ». Il sera suivi des manifestes du rayonnisme par Mikhaïl Larionov en 1913, du suprématisme par Kasimir Malévitch en 1915, de ceux de De Stijl  en 1917 et j’en passe…son âge d’or (1908-1930) coïncide avec cette nouvelle dimension des avant-gardes : la notion et l’action du collectif. Le manifeste est à la fois un guide pour l’action et un acte de rassemblement. Son intérêt – notamment dans l’analyse à postériori–, c’est qu’il relève à la fois du contexte historique et social, qu’il donne l’horizon historique sans s’y laisser réduire, puisqu’il annonce l’action à venir, ce qui reste encore à vivre, à penser, à partager…par ceux qui alors était en train d’écrire l’histoire. Le « Manifeste blanc » de 1947 puis les manifestes spatialistes annoncent la fin de la figuration mais également d’une abstraction purement formelle; la nouvelle abstraction doit tenir compte des nouvelles technologies − la dynamique des futuristes n’a été qu’une dynamique de surface −, de la conquête de l’espace; l’art occidental doit dépasser le support plat de la toile ou du papier, l’heure de la troisième et de la quatrième dimension est venue, car désormais le temps fait également partie de l’équation artistique.

De retour à Milan, Fontana exposera son premier « environnement spatial » (1949; Galleria Naviglio), qui ouvrira la voie aux développements internationaux de l’art environnemental, de la performance, au Land Art (citons parmi les artistes les plus connus Walter De Maria, Christo ou Richard Long) et à l’Arte Povera (nous vous avions parlé ici de Giuseppe Penone mais les plus représentatifs sont certainement Mario Merz, Alighiero e Boetti ou Michelangelo Pistoletto). Apparaît ainsi concrètement dans son œuvre la notion de « Concept spatial » qui se rattache à tout son œuvre pictural, mais dont les « sous-catégories » les plus connues sont justement les « buchi » (1949) et les « tagli »(1958). Il ne s’agit pas seulement de trouer ou fendre la toile, mais parfois l’artiste intègre également des morceaux de verre colorés, des paillettes. Attention, l’opération de pourfendre la toile n’est pas hasardeuse et pure violence spontanée, il s’agit d’un acte minutieusement préparé : étude de la tension de la toile, couches préparatoires multiples, l’arrière du tableau est protégé par de la gaze noire pour le maintenir.

Lucio Fontana figure également parmi les premiers à avoir fait usage du néon, comme transcription spatiale de la nouvelle esthétique faite de « formes lumineuses à travers l’espace », avec une longueur d’avance sur les artistes américains (comme Dan Flavin).

Lucio Fontana: rétrospective au Musée d’art moderne de la Ville de Paris

« Soffitto a luce indiretta », environnement spatial en néon conçu pour la Triennale de Milan, 1951

Dans l’œuvre de Fontana, l’espace ne se déploie plus autour de la matière, mais au-delà; le geste de l’artiste ne cherche pas à représenter, mais à créer une « terra incognita », lieu étranger au regard. Le geste incarne une volonté de connaissance absolue…nous sommes dans la « recherche perpétuelle ». Dans l’après-guerre s’impose une évidence : c’est la fin des utopies, la survie de l’humanité n’est plus garantie, ainsi plus rien n’est acquis. Comme dit Fabrice Hergott, directeur du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, dans son introduction au catalogue : « cette phase ultime d’une humanité ayant franchi une limite cache, sous le kitsch et la surconsommation, le fait que plus rien n’a d’existence durable. Fontana nous donne à voir une anticipation magnifiée de cette épée de Damoclès. ». En ce sens, Lucio Fontana incarne à travers son œuvre un passage important des ambitions de l’art du XXe siècle.

Carole Haensler Huguet

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Informations pratiques:

LUCIO FONTANA, RÉTROSPECTIVE

25 avril – 24 août 2014

Commissariat : Choghakate Kazarian et Sébastien Gokalp

MUSÉE D’ART MODERNE DE LA VILLE DE PARIS

11 avenue du Président Wilson, 75116 Paris

www.mam.paris.fr

Lucio Fontana: rétrospective au Musée d’art moderne de la Ville de Paris

« Concetto spaziale, Attese », 1965


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