Sur une proposition d'Ariane Mnouchkine (connue pour son Théâtre du Soleil engagé) mise en scène par Hélène Cinque (la directrice du musée), la troupe du Théâtre Aftaab offre un spectacle de toute beauté, à ne pas rater bien sûr !
Un jeune afghan réussit à trouver un travail de gardien de nuit dans un théâtre-musée à la couverture brinquebalante. Cet endroit magique et riche en archives historiques semble un lieu de passage pour fantômes en perdition, enfin d'après sa directrice bien contente d'avoir trouvé la perle rare (celle qui n'a pas encore peur). À peine installé, le gardien se voit confronté à la générosité d'un de ses compatriotes et néanmoins ami : ce dernier a proposé à d'autres - sdf et réfugiés non reconnus-, le refuge pour quelques heures, le temps de la réouverture des gares du métro. À peine installé donc et déjà plus tout seul, surtout lorsque les rêves, les prostituées et les policiers s'y mêlent !
Tout, dans la mise en scène, est intelligent : une bonne exploitation des corps avec une chorégraphie savamment orchestrée, une musique bien venue, l'usage de la vidéo enfin subtile (où le logiciel de communication Skype a le droit à une part de reconnaissance), l'intrusion heureuse d'éléments naturels (les ombres, la neige, le vent), le tout servi par des comédiens en grande forme et naturels, des propos réalistes et touchants, une langue splendide (le dari surtitré). On navigue entre le tragique, la comédie, parfois le burlesque et la bouffonnerie, entre le rire et les larmes. Mais jamais l'intelligence du propos ne s'échappe de sa mission : faire réfléchir le spectateur, ne pas le juger, ne pas induire une vérité (chacun en conçoit une avec son vécu, ses idées, ses valeurs).
Pourtant au démarrage, on pouvait râler sur des bons sentiments débordants ou un prétendu manichéisme ou une certaine bienveillance entre réfugiés. Mais, lorsque la nuit tombe, les souvenirs reviennent et les traumatismes associés aussi. Donc on ne boude pas sur les moments heureux, lorsque d'autres vous serrent le cœur. La plupart des réfugiés a fui la violence physique pour y retrouver celle de l'indifférence ici. Alors oui, les quiproquos magnifiques entre la prostituée, le gardien et sa famille servent à libérer le texte de trop de tensions, sur une situation malheureuse actuelle que beaucoup de migrants connaissent : le déracinement et l'impossibilité d'enracinement vers cet ailleurs rêvé. Restent des images inoubliables : le sauvetage de la mémoire du monde, deux frères sous une neige abondante etc
Une pièce importante.
vue au Théâtre du Nord entre le 26 et le 29 mars 2014 (j'ai conscience d'avoir été chanceuse)
et un de plus pour le challenge d'Eimelle