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Balbutiements chroniques, par Sophie Torris…

Publié le 07 mai 2014 par Chatquilouche @chatquilouche

Cher Chat,

Quand on est un fruit bien mûr, peut-on encore avoir la banane ? C’est une question à la noix ! Ce n’est pas

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parce que mon demi-siècle va bientôt me coller un marron que je vais devenir un fruit sec ! Permettez donc, le Chat, que je ramène à nouveau ma fraise avant de les sucrer : oui, on peut murir en paix !

Le problème, voyez-vous, c’est qu’on se presse le citron avec l’idée qu’en vieillissant, on ne vit que des pertes. Certes, il est fort probable qu’en prenant de l’âge, on ait moins de jus, mais par contre, les pépins, eux, sont bien derrière nous : plus d’enfants à charge, plus d’échéances de maison, et quand la retraite ramène sa pomme, plus d’horaires. Pour peu qu’on se garde une poire pour la soif, on cultive avec raison l’espoir d’une vieillesse insouciante.

Vieillir, c’est donc retrouver la désinvolture qu’on a perdue en devenant jeune adulte. C’est s’autoriser rationnellement l’insouciance puisqu’on a enfin la tête sur les épaules.

Aujourd’hui, alors que j’en ai vécu des vertes et des pas mûres, que j’ai dû gérer quelques pommes de discorde, que j’ai appris à couper la poire en deux, que je me crois moins invincible et que je sais que cueillir le fruit défendu ne m’apportera pas forcément plus de pouvoir, alors que je suis devenue plus sage et à même de faire des choix éclairés, je n’ai plus d’enjeux vraiment décisifs à prendre. Et s’il m’arrive encore de me prendre le melon avec de nouvelles ambitions grosses comme des pastèques, elles sont, de toutes les façons, moins lourdes de retentissement, car je ne suis plus en train de jouer toute ma vie. Je n’ai plus 70 ans devant moi.

C’est quand on est jeune que nos décisions ne comptent pas pour des prunes, c’est quand on a tout ce temps devant soi, mais si peu de recul sur la vie, que nos décisions, paradoxalement, ont le plus de portée. Ceci dit, cher Chat, si on était plus conscient des conséquences d’un acte, on ne croquerait jamais dans la pomme et on se priverait sans doute de quelques cerises sur le sundae.

On ne se racontera pas de salade, si on mesurait, par exemple, ce que ça implique de faire un enfant, on n’en ferait peut-être pas. Cet aveuglement naturel est donc bénéfique, car si je fais ma sucrée en constatant aujourd’hui que l’addition est salée, j’aurais le cœur en compote sans mes trognons. Qui sait même si cette liberté qu’ils me rendent en grandissant ne finira pas par me peser ? Il est toujours trop court le temps des cerises…

C’est vrai aussi qu’on a toujours besoin de se faire chanter la pomme, même quand elle est ridée. Mais si je suis mi-figue mi-raisin devant ma peau d’orange, jadis peau de pêche, je me suis toutefois libérée du carcan du paraître. En vieillissant, on assume beaucoup mieux ses défauts et ses différences. C’est une autre forme de liberté que celle de s’émanciper du groupe de référence et de la tyrannie de la coolitude. On n’a pas besoin d’avoir 522 amis Facebook, ni de parader bronzée, les mains french-manucurées sur le volant d’une décapotable pour se sentir bien. Et si un jour, on se paie une décapotable plutôt que des REER, ce ne sera pas pour faire cool, mais parce qu’en étant plus vieux, on a les moyens de se faire plaisir. Uniquement pour sa pomme et dans l’optique de se fendre la pêche !

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Bientôt 50 ans que je me secoue la pulpe et j’ai la sensation, depuis peu, que j’ai trouvé ma place, celle qui correspond véritablement à ma nature et ça, ça vaut son pesant de cacahuètes. Même si pour porter fruit, il faut arrêter de bourgeonner.

Je n’arrêterai pas pour autant de me chercher, mais la bonne nouvelle, c’est que je n’ai plus à prouver aux autres qui je suis.

D’autre part, je ne me sentirai jamais trop vieille pour porter cette jupe, pour oser cette coiffure ou pour faire des châteaux de sable en Espagne ou ailleurs. Ce n’est pas parce qu’on vieillit que l’on doit tricoter au coin du feu, emmitouflée dans un grand châle brun. C’est un autre mythe éculé de la vieillesse que celui d’être dépassé. Même vieux, on peut encore apprendre, vivre et surtout transmettre puisqu’on a la chance de se souvenir du passé.

Et puis le jour où je ne résisterai plus à la loi de la gravité, et bien, c’est en avant que je pencherai.

Sophie

Notice biographique

Balbutiements chroniques, par Sophie Torris…
Sophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


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